Esprit mobile, vif argent, même, que celui de Jean-Louis Schefer. Mais d’un calme ironique, comme détaché des attaches de « premières vues », voire de « premières mains », trop dénoué, trop délié, pour cela. Détournements théologiques des représentations, corps, matières, postures, art, peintures, sacrements, métamorphoses. Mais moins obsessionnellement « tableaux vivants » des manières érotiques et profanatrices que Pierre Klossowski et sa « monnaie vivante ». Pensée vaste, véritable lecteur et détecteur des signes, de l’art pariétal aux pères de l’église, au cinéma moderne (Ozu, Dreyer, Bresson), du Burlesque à Raul Ruiz. Probablement le plus grand analyste vivant, relié à une « variété » (pour reprendre Paul Valéry) de fils, de plans, de cadres, des traces illisibles que laissent glisser l’histoire. Clarté de ce travail de montages, des temps, des espaces, des sciences, des anomalies, des dégénérescences animales, végétales, minérales, humaines. L’envers et l’endroit, le coup droit et le revers, le double, l’énigme, la « Profanation de l’Hostie » (Paolo Uccello) et son empreinte négative, sa couleur de prédelle. On ne sait jamais sur quel J.L.S on doit faire face.
Visions de Guy Debord, la gloire du paria
voir le sommaire In Le 1 Hebdo : « Ce que nous dit Guy Debord », texte publié sous le titre L’esthétique du détournement (voir bas de page) – août 2023.Vision de Guy Debord, la...
Ça m’a même pas fait mal, Manuel Joseph, photographie : Jean-Luc Moulène (éditions Al Dante, 2000)
De Yan Ciret in Art Press n°274 (décembre 2001) Partons d’une évidence, il n’y a pas de « littérature d’enfants ». Étymologiquement, l’in-fans est celui qui vient...
Œuvres, Édouard Levé (P.O.L., 2002)
Yan Ciret, in Art Press, décembre 2002. Si l’ouverture à l’infini donne à une œuvre sa capacité à faire venir des visions concrètes, à leur maximum de possibles, il faut bien considérer...
Événements 99
Événements 99, Anne-James Chaton, éditions Al Dante, 2001In « art press » mai 2002 On ne peut parler d’Evénements 99 qu’en termes d’extériorité, de figures du dehors,...
Agnès Thurnauer : Now When Then / Journal et autres écrits
In Critique d’art 43 | Automne 2014La position cartographique, et généalogique, d’Agnès Thurnauer est l’une des plus singulières de la peinture actuelle. Lorsque l’espace et le...
Pierre Alferi, horizons mobiles
Entretien « art press », 262, novembre 2000 Politique de la fraternité, politique des affects, les pleurs d’Achille sur le corps mort de son amant Patrocle, larmes de César portant la tête...
Dernières nouvelles des mondes flottants
Kenneth White, entretien avec Yan Ciret Revue du Théâtre de la Bastille,1994, dir. Yan Ciret. Repris en volume “Le lieu et la parole” Kenneth White, éditions du Scorff (1997). Conversations...
Guy Debord, un stratège dans son siècle
Par Yan Ciret in « magazine littéraire » – juin 2001« L’aventurier est celui qui fait arriver les aventures, plus que celui à qui les aventures arrivent » (Potlatch n°7, 3 août...
Yan Ciret : L’Autre Étranger (Ici et Ailleurs) – Marc Augé
Anthropologue/Ethnologue – (président de l’EHESS entre 1985 et 1995)Entretien avril 1994, publié dans la Revue du Théâtre de la Bastille n°17, 1995. Photogramme © Rachel Godefroy / Film...
« La nuit perdue” (1973), film de Bernard-Marie Koltès
La Nuit perdue, unique film de Bernard-Marie Koltès, a été présenté le 16 mai 2009, dans le cadre de l’hommage rendu par le Centre Beaubourg – Bibliothèque Publique d’Information...
Thomas Hirschhorn : Travailleur d’Horus
Chalet Lost History avec des textes intégrés de Manuel Joseph
Galerie Chantal Crousel du 13 décembre au 21 février 2004
Par Yan Ciret, in Art press n° 301, mai 2004,
Une figure domine toute l’œuvre de Thomas Hirschhorn, celle du Travailleur, du prolétaire de la globalisation (qu’il appelle macro-isation) producteur de sa propre destruction, esclave de l’histoire dont il n’est plus que l’objet manufacturé, disponible, flexible. Mais l’Arbeiter d’Hirschhorn, s’il n’est réduit qu’à son devenir marchandise, exploitable jusque dans son image, sa mort, son cadavre, tient entre ses mains des armes redoutables, à l’instar de la figure prophétique du « Travailleur » forgée par Ernst Jünger.
La seconde mort du corps prolétaire
Entretien Stanislas Nordey avec Yan Ciret
« Entre beauté esthétique et virulence politique, Stanislas Nordey travaille au corps la représentation, montage du geste fabuleux à son envers, le chômage de masse comme civilisation. Le tout par la dérive des pôles. »
« Cahiers de théâtre n°11, décembre 1993/janvier 1994 »
Dès le départ, la définition du prolétaire s’est faite par le corps, Marx en ayant fixé le théorème, à savoir que le prolétaire est celui qui ne possède rien, sinon son corps et ce qui en est extrait : la force de travail et la progéniture. Cette équation minimale a, semble-t-il, pris une autre signification, tout aussi forte, mais plus désespérée encore.
Jean Genet, le saut de l’ange des murailles
Au bas de Montmartre, au bout d’une ruelle de terre-battue, un dôme en forme de basilique de la pauvreté, on trouvait là le « Cirque Romanès ». Près de la Place Clichy. L’exact compas entre la rue Truffaut, là-même où habitât François Truffaut (hôtel « Truffaut), qui fut l’ami de Jean Genet, avant la brutale rupture. Et le quartier du Sacré-Cœur, du Pigalle des voyous et voleurs, ou des travestis de cabarets, là où la prostitution des corps se subliment dans des âmes noircies par l’épreuve, l’échange des sexes, là où l’écrivain inscrit l’odyssée de « Divine » l’héroine queer de son « Notre-Dame des fleurs ».
Alexandre Romanès m’apparut là, pour la première fois, portable à la main, je lui parlais des relations du cinéaste et de l’écrivain. Il me dit qu’une fois, Truffaut arrivé en retard à leur rendez-vous, Jean Genet le gifla.
Entretien/ Claude Régy (4.48 psychose) Sarah Kane ou le théâtre de Caïn
«De tout mon cœur, Je m’offris en holocauste»
Dante, Paradis Chant XIV
Zohar noir. Lors d’une rencontre avec Claude Régy et Henri Meschonnic, nous parlions de Trakl, et imaginions une interprétation chiffrée, codé, ésotérique et hermétique, à la manière de la Kabbale, de la poésie. Un nom, un titre arriva vite « Zohar noir », il ne me resta que ce passage du Journal d’Ernst Jünger : « Le monde est inhospitalier aux âmes sensibles. J’ai lu que Georg Trakl avait été bouleversé par la vue d’une tête de veau, lors d’un banquet campagnard, et qu’en le voyant sur la table il dit : « C’est Notre Seigneur Jésus-Christ » et l’embrassa. Ce qui rappelle Nietzsche sautant au cou d’un cheval, à Turin. »
Gérard Macé ou le mât muet de la baleine blanche
Entretien avec Gérard Macé
Effilochages de voies, de langues, d’images, de hiéroglyphes, les livres de Gérard Macé chinent ce qu’il appelle « Colportage », un sens saisissant de la présence au monde. De l’instant décisif qui en fait aussi un photographe du proche et du lointain. Le Japon, l’Afrique, la Chine, le Cameroun ou le Mali dont je lui parle de ma remontée du fleuve Niger, à la recherche des villes impériales. Gérard Macé érudit voyageur, colporteur d’imaginaires, vivace et souple, l’une des proses les plus secrètement éblouissantes de notre temps. Un croisé des croisements, avec les lieux, les hommes, les mots et les choses. La peinture avec Pierre Alechinsky et d’autres, avec l’écrivain Pierre Michon et d’autres ; je retiens son amitié avec Jean Starobinski, dont le « Portait de l’artiste en saltimbanque » est comme un double de son livre « L’Art sans paroles ». Chiffonniers de l’art, Nerval, Baudelaire, ou déchiffreurs d’ailleurs ou d’Orient, Larbaud, Segalen.
Jan Fabre le samouraï téméraire du Louvre
Entretien avec Yan Ciret
Les grandes verrières du Louvre donnaient sur un monde arrêté, une lave invisible avait pétrifié les marbres blancs, comme des suaires, que nous surplombions. Jan Fabre regardait ces déesses aux yeux caves, ces faunes châtrés, ces satyres et vestales, comme une punition divine venue de son univers païen. Carquois, flèches, boucliers tavelés de têtes de Gorgones, plantaient un décors où sa parole se déroulait à la vitesse métronomique, de celui qu’il appelle : « Le guerrier de la beauté ». Cet imperméable, qui lui fait une carapace, et que je lui ai toujours connu, avec baskets et jeans denim juraient, avec ce Pompéi de plâtre délavé. Il venait se confronter avec ses « maîtres anciens », dans les salles nordiques du Louvre. Lapins écorchés pendus par les pieds écartelés, raies luisantes, sur le vermillon rosacé des huitres et leurs goémons, pelures d’orge, on y retrouvait tout son bestiaire. Ces natures mortes attelées aux scènes de genre ou d’histoire, batailles, traités, renvoyaient à ses performances. Son théâtre cruel trouvait-là, un écrin parfait. Ses mains mobiles malaxaient ses mots, comme si, il voulait encore contraindre la matière, les corps, la scène, et faire couler le sang de la Vierge. Il me rappela, notre dernière discussion, et cette phrase : « Il ne faut pas laisser la nation aux nationalistes ». On continua cette conversation en anglais.
Michel Vinaver – L’architecte et l’ingénieur
Que pourrait signifier l’existence d’un théâtre documentaire, dont l’enregistrement des événements humains serait la fonction première, particulière ? Peut-être un centre de gravité, une scène, échappant aux lois de la marchandise (c’est-à-dire à la pesanteur), où l’on pourrait conjoindre enfin nos vies et leurs récits, le mythique et le domestique – comme dans les pièces de Michel Vinaver. Mais plus sûrement un théâtre documentaire s’arrimerait fermement à la dépression actuelle, en figurerait l’oscillation dangereuse, la cote d’alerte, le rouge mis quand la guerre ou l’épidémie gagne et devient la vérité sous-jacente à tous rapports, « ici et ailleurs » comme dit Godard – comme dans les pièces de Michel Vinaver. La crise du théâtre n’est pas autre chose que la crise du monde qu’il représente.
Entretien avec Yan Ciret.
Œdipe funambule (Johann Le Guillerm)
« Je voulais travailler sur l’exploitation d’un être humain dont j’étais le cobaye » Johann Le Guillerm à Libération, le 28 mai 1999.
Il arrive qu’un artiste resserre autour de son travail, tout ce qui fait l’actualité du domaine dans lequel il évolue. Ou même qu’un spectacle, à lui seul, inventorie de manière condensée, les multiples facettes d’une pratique. Ce panoramique n’a pas toujours l’allure d’un catalogue, il peut aussi bien, comme c’est le cas pour le dernier spectacle de Johann Le Guillerm, être un fabuleux répertoire de postures.
L’Ami Colombien, par Gabriel García Márquez, entretien avec Yan Ciret
De retour de New York où se joue l’adaptation théâtrale de son roman L’Automne du patriarche, G. G. M. reçoit, en tenue tennistique impeccablement blanche, dans sa ville caraïbe de Carthagène des Indes. Toute une vie d’écriture défile, tradition, métissage, littérature, enfance. En attendant un soda et une curieuse montre-bracelet rose avant de commencer par le principal : Cent ans de solitude.
Debord le voyant
En octobre 1951, Guy Debord a dix-neuf ans, il vient de rejoindre à Paris le groupe lettriste d’Issu, mais il est déjà loin, ailleurs. Son film Hurlement en faveur de Sade, le plus radical de toute l’histoire du cinéma, se prépare, comme une guerre éclair, un point de non retour qui engage toute une vie d’aventures, de révoltes, de paris qui agitent la main du diable, de Marx, Lautréamont, et de Dante (il apprend l’italien pour le lire dans le texte).
Wim Wenders : Éthique du photographe
Entretien avec Wim Wenders, cinéaste, photographe.
Voyageur anonyme dans la mise en scène politique du monde et photographe de l’espace du dedans, mis dehors, le cinéaste d’Alice dans les villes et L’Ami américain trace à la frontière de l’autoportrait, du documentaire et de la mythologie, un état moral des images. Au fil du temps.
Serge Daney, une expérience critique du deuil
La parution aux éditions P.O.L. de La Maison Cinéma et le monde, accompagné d’un numéro spécial Serge Daney de la revue qu’il fonda : Trafic, viennent nous donner des nouvelles rétrospectives du ciné-fils, mais aussi du critique des images du monde, de l’Histoire. Il est désormais possible de mesurer plus encore l’importance de sa « cinécriture ». Au coeur de ce montage, l’expérience, la critique et le deuil que libère la puissance des images et des mots.