Agnès Thurnauer : Now When Then / Journal et autres écrits

In Critique d’art  43 | Automne 2014

La position cartographique, et généalogique, d’Agnès Thurnauer est l’une des plus singulières de la peinture actuelle. Lorsque l’espace et le cadre s’imposent dans son œuvre, de manière simultanée, ce qu’elle appelle « la temporalité » retourne le regard. D’où la permanence de deux axes, que l’on peut nommer « la reprise » -de motifs anciens (tels que la rémanence d’Édouard Manet ou de Gustave Courbet) – et la « relève ». Cette dernière induit que la vision se dédouble au présent (lisible/visible/inversion des points de vue). Comme elle l’écrit, dans son « Journal d’atelier (2009-2012) » (p. 165-346), évoquant la métaphore du gant retourné : « L’affaire n’est pas de peaufiner la surface aussi magistralement que ce soit l’affaire – la faire – c’est d’être capable de comprendre de quoi la peinture se retourne. » Et de préciser, un peu plus loin : « Si c’était nous la peinture visible du tableau et que le personnage dévisage ? » D’où l’inclusion de son propre corps, « livré à la peinture », selon l’une de ses expressions, par la figuration. Il n’y a, dès lors, plus ni dedans ni dehors, mais un « hors de soi » qui fait coïncider la matière et la manière, le processus sans achèvement, les modernes et les classiques.

La mise sur le même plan, par une variation sur le thème du montage, d’un tableau du Tintoret, d’Ingres, d’Odilon Redon ou de Pablo Picasso, et les propres œuvres d’Agnès Thurnauer, au Musée des beaux-arts de Nantes, donne la mesure de cette double insertion du motif (portraits) et de « l’image qui vient » vers celui qui regarde, pour en retour être lui-même inclus dans ce dispositif. La parution concomitante du catalogue de l’exposition nantaise Now, When, Then et du Journal et autres écrits à Beaux-Arts de Paris les éditions permet de saisir cette ligne de fuite qui s’enroule autour d’un point tournant, d’un mouvement perpétuel. Ainsi ses magnifiques dessins préparatoires, entrelacs de lignes désignant un infini. Il faut noter, que les deux ouvrages se complètent parfaitement : d’un côté, les œuvres d’Agnès Thurnauer, dont la série des « reprises » d’Edouard Manet de portraits de femmes, notamment, souvent distancés, recadrés ; et sur un autre versant, « Le Journal d’atelier (2009-2012) » précédé d’ « Entretiens » avec les critiques, commissaires d’exposition et artistes (Christophe Domino, Elisabeth Lebovici, Jérôme Sans, Nicolas Exertier, Agnès Violeau, Damien Sausset, Agustina Bullrich, Elisabeth Couturier, Stéphanie Verger, Sylvie Blocher, Cyril Thomas, Sinziana Ravini, p. 15-128) et de ses propres « Textes et conférences » (« Aujourd’hui, Lascaux », « Parler du fond de ce qu’on ne sait pas », « L’Art, notre permanent contemporain », « La Peinture comme transfert » et « Texte athéorique », p. 131-155).

On n’y perçoit pas uniquement le work in progress d’une artiste en constante recherche, doutes, fulgurances, mais aussi une acuité de perception, une ouverture historique fondamentale. On est retenu par le large compas qu’elle déploie, son intérêt pour Giotto (antique) ou Gerhard Richter (contemporain), Rainer Maria Rilke ou Jean- Luc Godard, le philosophe Giorgio Agamben et une vaste culture des enjeux de la peinture, à travers les temps. Elle utilise une langue parlée/écrite déliée, fluide, souple et incisive dans ses choix ou ses refus. Celle qui se définit, comme une « artiste préhistorique », au sens littéral, ne parle que d’avenir.

Yan Ciret, critique d’art, 43 | Automne 2014

Agnès Thurnauer: Now When Then
Lyon : Fage ; Nantes : Musée des beaux-arts de Nantes, 2014, 94p. ill. en coul. 31 x 24cm Textes de Blandine Chavanne, Catherine Grenier, Roderick Mengham, A. Thurnauer

Agnès Thurnauer, Journal et autres écrits
Paris :
Beaux-arts de Paris les éditions, 2014, 352p. ill. 21 x 15cm, (Ecrits d’artistes)

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