Que pourrait signifier l’existence d’un théâtre documentaire, dont l’enregistrement des événements humains serait la fonction première, particulière ? Peut-être un centre de gravité, une scène, échappant aux lois de la marchandise (c’est-à-dire à la pesanteur), où l’on pourrait conjoindre enfin nos vies et leurs récits, le mythique et le domestique – comme dans les pièces de Michel Vinaver. Mais plus sûrement un théâtre documentaire s’arrimerait fermement à la dépression actuelle, en figurerait l’oscillation dangereuse, la cote d’alerte, le rouge mis quand la guerre ou l’épidémie gagne et devient la vérité sous-jacente à tous rapports, « ici et ailleurs » comme dit Godard – comme dans les pièces de Michel Vinaver. La crise du théâtre n’est pas autre chose que la crise du monde qu’il représente.
Entretien avec Yan Ciret.
La mise en scène de ce théâtre enregistreur en cernerait les contours instables, la circonférence invérifiable, la dérive traversée seulement, malgré l’anesthésie sociale générale, par l’émergence des voix exclues. Cette rumeur incessante dont le seul mérite est d’exister, d’advenir là où plus rien n’arrive. C’est sans doute de là qu’il faut repartir, et du ressassement des écritures, celles que Michel Vinaver interroge dans ces Écritures Dramatiques (1., comme s’il cherchait à y lire quelque chose de lui-même.
En cela la topographie qu’il dresse des textes découvre des réseaux, des branchements, des conjointures selon son terme. L’analyse connecte des auteurs tels que Marivaux, Fassbinder, Botho Strauss ou Heiner Müller, s’emparant d’un fragment, prélevant dans la matière textuelle pour en restituer la composition, les lignes de force, l’énergie. C’est tout un tissu qui se reconstitue par un effet « blow up » d’agrandissement, comme une dernière tentative de faire tenir ensemble ce qui a été détruit, de manière communautaire (le lien social) et de manière individuelle (l’expérience). Quelle énigme ou quel salut Michel Vinaver a-t-il voulu forcer ? En tous cas ces Écritures Dramatiques font partie de ses œuvres au même titre que Les Coréens ou Le Dernier Sursaut, tant il est, avec quelques autres, l’organisateur conscient de ce montage. Parmi les mille manières de ne pas être, Michel Vinaver en a choisi une, qui donne une ombre, une doublure, en un mot un inconscient à l’expérience humaine, celle d’écrire avec les mots des autres, une œuvre qui cache autant qu’elle révèle celui qui la signe.
(1. Michel Vinaver, « Ecritures Dramatiques, essai d’analyse de textes de théâtre », éditions Actes-Sud, 1993.
Entretien publié dans la revue « Cahiers de théâtres », N°10, octobre-novembre 1993.
« Celui qui posait les questions parlait du peintre Ernest Pignon-Ernest qu’il venait de rencontrer à Naples et dont il avait vu près du port, déchirés sur les murs lépreux, les dessins affiches, des scènes du Caravage, le portrait de P.P. Pasolini. L’écrivain qui répondait dit qu’il connaissait et aimait beaucoup ce peintre, que l’une de ses œuvres ferait la couverture d’un prochain livre de sa collection (Gatti). Ils se séparèrent sous la pluie à l’angle du bd St-Germain et du bd St-Michel, l’écrivain réitéra, en ouvrant son parapluie, son refus d’être photographié. Son visage arasé disparut bientôt dans la foule. »
Yan Ciret : Votre père vous a envoyé, le jour de vos vingt ans, un feuillet dont le premier mot était coupé à moitié, le dernier aussi, le tout n’avait pas de sens, vous pouvez me dire maintenant le secret de cette lettre de votre père ?
Michel Vinaver : Non, parce que je n’en sais rien moi-même, je ne peux pas analyser ce qui s’est passé, je sais que ce que j’ai reçu avait la force de l’inattendu. Je ne m’attendais à rien de pareil venant de mon père, c’était un peu comme un aérolithe qui venait d’ailleurs, et ceci venait à un moment où je me demandais comment écrire un roman.
Y.C. : Ce fut donc le point de départ de votre premier roman ?
M.V. : Absolument.
Y.C. : Cela n’a pas agit comme une injonction à écrire ?
M.V. : Pas du tout, cela a agit comme un accident.
Y.C. : L’idée de fragment ne vous est-elle pas apparue à ce moment-là ?
M.V. : Difficile de répondre, il est certain que l’objet en question, ce feuillet recto-verso, était un fragment, mais quand on dit fragment, c’est détaché d’un tout, alors que là il n’y avait pas de tout. J’ai donc fait un tout à partir d’un fragment, et c’est une démarche que je n’ai jamais recommencée. C’est un cas isolé dans mon expérience et plus largement.
Y.C. : Mais n’était-ce pas un fragment détaché de la parole de votre père ?
M.V. : Ce n’était pas un fragment de parole, mais vous savez je n’ai pas analysé ce fait et je n’ai pas trop envie de l’analyser.
Y.C. : Néanmoins en liminaire d’une de vos pièces on lit « pièces en morceaux », on peut faire un rapprochement entre votre écriture et vos études de fragments ?
M.V. : Je veux bien, j’admets qu’il puisse y avoir un soupçon d’une relation entre mes textes et ces Écritures dramatiques, mais je ne veux pas rentrer dans cette analyse.
Y.C. : À la fin de la lecture d’ Écritures dramatiques, il apparaît une géographie des écritures, on a vraiment l’impression qu’il y a une écriture unique, qui avance par flux en traversant les différents auteurs ?
M.V. : Je n’ai pas d’idée là-dessus, si les croisements et les conjointures d’auteurs avaient été plus nombreux, à ce moment-là une topographie de l’écriture dramatique apparaîtrait, mais ces croisements en l’état ne mettent pas moins en lumière les écarts que les convergences, j’en suis resté à une topographie des écritures dramatiques, sans me dire qu’il y avait une écriture unique.
Y.C. : Cela ne vous a rien appris sur la spécificité de l’écriture théâtrale ?
M.V. : Si, cela m’a appris beaucoup de choses, mais je ne suis pas intéressé à globaliser, je ne suis pas quelqu’un qui a un point de vue sur ce dont il s’occupe, je ne veux pas arriver à un système fermé, j’ai toujours peur qu’une idée totalisante devienne totalitaire.
Y.C. : Pourtant il s’avère là que le théâtre est un art du temps, du présent, et de manière primordiale ?
M.V. : Bien sûr, il y a quelques idées génériques sur le théâtre qui apparaissent d’une analyse à l’autre, comme effectivement la relation du théâtre au présent, dans la mesure où elle est la parole au moment de son surgissement, il y a là quelque chose qui la différencie de toute autre forme d’écriture.
Bettencourt Boulevard ou une histoire de France de Michel Vinaver, mise en scène Christian Schiaretti
Y.C. : Mais cette façon de saisir une œuvre par son fragment ne laisse-t-elle pas échapper certaines choses, je pense à la fascination érotique de l’Afrique sur Koltès, ou le travail physique voir métaphysique de Novarina sur le langage ?
M.V. : Je pense effectivement que le cas de Novarina est limite en ce qui concerne cette méthode d’analyse. Avec un texte comme le sien, peut-être en effet sommes-nous arrivés à la limite. Mais il faut dire que la méthode consiste à proposer la lecture d’un fragment comme démarrage à la lecture de l’intégralité de l’œuvre. De ce point de vue, l’ouvrage Écritures dramatiques peut donner une image déformée de la méthode, mais il pose cette hypothèse que l’on apprend beaucoup de choses sur le fonctionnement du texte par l’étude du mouvement de l’écriture au niveau moléculaire. J’ajouterais que cette méthode permet de découvrir des coups de théâtre dans l’écriture même, et pas seulement dans les événements fictifs qui se déroulent dans la pièce. À partir de là, on ne connaît pas le texte, parce que connaître est infini, mais on voit comment cela fonctionne.
Y.C. : On pense à un bricolage sophistiqué fait à partir des débris des grands récits, des idéologies, de la psychanalyse, de l’étude biographique, de la sémiologie, et que là réside la force de votre approche.
M.V. : Je ne saurais pas commenter cela, mais je pars du postulat qu’au théâtre il se passe quelque chose par la parole : il y a passage d’une situation à une autre situation et la méthode cherche à savoir comment se fait ce passage qui est le propre de l’écriture théâtrale. Devant la question : « comment ça se passe dans l’écriture ? », il y a eu nécessité de forger quelques outils, toujours en évitant que ces outils soient l’émanation d’une métaphysique ou d’un système de pensée sur le théâtre. Tout reste ouvert, rien ne renvoie à une vision globale de l’objet dont on parle. Il s’agit de pouvoir mieux lire et de mieux travailler scéniquement le texte.
Y.C. : Que donnerait cette méthode appliquée au roman ?
M.V. : Je ne sais pas.
Y.C. : Pourquoi vous êtes-vous détourné de l’écriture romanesque ?
M.V. : Parce que cela s’est trouvé comme ça, il m’a été demandé d’écrire une pièce dans des circonstances bien particulières. Et tout d’un coup c’est un mode d’écriture qui m’a paru mieux me convenir que celui du roman. Surtout du fait qu’il n’y avait pas de tissu conjonctif entre les répliques. Les deux romans que j’avais écrits étaient, sans que j’en aie eu conscience, très majoritairement des suites de répliques. Je n’avais jamais eu auparavant de goût particulier pour le théâtre.
Y.C. : Vous avez toujours eu un doute sur votre identité d’écrivain, comme si vous aviez eu un doute sur votre possibilité d’existence à travers vos écrits ?
M.V : Il y a d’abord toujours eu un doute sur ma capacité, ayant écrit une pièce, d’en écrire une autre, cela s’appliquait d’ailleurs déjà au roman. Je n’ai jamais pu programmer ou avoir la moindre certitude que je pourrais continuer, chaque pièce pouvait être la dernière. Alors cela ne m’incitait pas à devenir un professionnel de l’écriture. Je voulais que cela soit marginal.
Y.C. : Vos dix années de silence, au début des années soixante, s’expliquent-elles comme cela ?
M.V. : (Silence) Oui et non, il y avait d’autres raisons, certaines étaient strictement biographiques. J’avais très peu à l’époque de possibilités de me dégager de ma vie familiale ou professionnelle. Mais il y avait aussi le fait que c’était la période où le texte de théâtre avait été vraiment jeté par la fenêtre, on peut dire que de façon radicale, on n’avait plus besoin de textes pour faire du théâtre. Du reste les pièces que j’avais écrites après Les Coréens s’étaient perdues dans les sables, aussi bien Les Huissiers, qu’Hiphigénie Hôtel.
Y.C. : Jamais vous n’avez voulu faire du fait d’écrire, un absolu ?
M.V. : (Silence) Cela m’est étranger cette absorption dans soi-même qu’implique le fait de s’accepter comme artiste, je dirais que cela ne me plaît pas du tout. Je n’aime pas ça, ce n’est pas moi.
Y.C. : N’est-ce pas une impossibilité d’avoir un point de vue, d’accéder au « je »?
M.V : (Silence) Je ne sais pas.
Y.C. : Il y a une forme de disparition dans l’écriture ?
M.V. : Le fait que l’écriture théâtrale fasse parler d’autres que soi, c’est l’une des choses qui m’ont fait écrire dans cette forme ; le fait de ne pas avoir à dire « je », oui, bien sûr. Mais est-ce à mettre en rapport avec ma répugnance à devenir un professionnel autrement que dans les domaines où l’on achète et où l’on vend ? Je ne sais pas.
Y.C. : Vous aviez besoin de cette position d’exil pour écrire, de cette double identité ?
M.V. : Cela ne fait aucun doute, je n’ai pas imaginé ma vie sans, cette dissociation était ma loi depuis mes premières pièces. Il m’a fallu rapprocher les deux plis que je tenais dissociés, comme s’il m’était interdit de créer, c’était une permission qui me manquait ; c’était une transgression. J’avais donc deux identités, deux noms, et besoin de cette clandestinité pour écrire. Mais quand j’ai écrit Par-dessus bord, tout cela a changé, la pièce est devenue à retardement l’instrument de mon éviction de la multinationale pour laquelle je travaillais.
Y.C. : Vous êtes le cas unique aujourd’hui d’un auteur qui s’intéresse à d’autres auteurs, vous alliez critique et création.
M.V. : Cet usage s’est perdu. Il y a effectivement peu de gens qui travaillent sur les deux versants, de plus c’est mal vu ; vous savez je n’aime pas la mystique de l’auteur, la sacralité qu’on lui réserve. Mais dans mon cas, le hasard a joué, et le hasard ça a été Dort qui m’a proposé de prendre sa place de professeur. Je me suis alors assez fortement intéressé à lire des auteurs que, pour la plupart, je n’avais pas lus.
Y.C. : Vous découpez toujours les journaux, les faits divers ?
M.V. : Oui, toujours.
Y.C. : Comment ces matériaux rentrent-ils dans votre écriture ?
M.V. : 99 % de ce que je découpe n’y entre pas, c’est presque entièrement du déchet, mais je le fais parce que c’est comme une espèce de nécessité pour moi, en même temps d’envie, de plaisir, là aussi, le hasard. Il y a un texte qui est une vraie référence pour moi, ce sont les entretiens de Francis Bacon avec David Sylvester, on y voit comment Bacon laisse venir l’accident et la manière dont il le manipule et c’est la combinaison difficilement dissociable des deux qui fait le travail. J’ai l’impression qu’il en va de même avec moi. Il y a une masse de choses qui s’accumulent, se sédimentent, puis on les manipule, mais c’est impossible à mesurer de manière très précise.
Y.C. : Mais n’est-ce pas finalement la vision d’un monde mis en pièces, que l’on retrouve là, une histoire en morceaux, éclatée, où l’on ne peut plus faire tenir les choses ensemble ; « Écritures dramatiques » commence dans le temps avec Shakespeare, c’est-à-dire le moment où l’on bascule d’un monde de la verticalité au monde de l’ego comme valeur absolue, c’est la découverte de la perspective et en même temps le moment où tout va se fragmenter ; votre livre paraît être à la phase terminale de cette dissolution, comme un dernier essai de relier par l’écriture ce qui semble ne plus pouvoir l’être ?
M.V. : Oui, je pense qu’il y a tout à fait de ça dans la démarche. Je pense que tout ce que vous venez de dire converge avec ce qui a amené ce type de regard, mais vous comprendrez que je n’ai pas envie de le développer davantage, je crois que vous avez vu juste.
Y.C. : L ‘écriture n’est-elle pas une arme de lutte contre ce vol permanent, de notre durée, par cette accélération morbide du temps, comme de notre espace, par la multiplication des écrans, qui nous rendent de plus en plus absents aux autres, à nous-mêmes aussi ?
M.V. : (Silence) Je ne me suis jamais senti une mission, ni un devoir d’écrire, et à partir du moment où il y a tout ce que vous venez de dire, et je reconnais dans ce que vous venez de dire ce que je ressens, il y a une autre solution que de s’expatrier, c’est tout simplement de ne plus écrire.
Y.C. : On ne peut plus écrire d’ici, le réel fait trop défaut ?
M.V. : Je ne sais pas, je ne peux pas répondre à toutes ces questions, je sais que je vis actuellement une période d’hibernation, sans savoir si elle est définitive ou si elle est une phase de mon expérience dans le monde. En tous cas j’ai aujourd’hui tout sauf l’envie ou l’idée de faire… Mes deux dernières pièces s’appelaient L’Émission de télévision et Le Dernier Sursaut, c’était déjà une manière de dire qu’il y a un basculement entre le spectacle et le réel.
Y.C. : Le théâtre paraît en panne d’enregistrement des faits, comme s’il était dans l’incapacité de restituer l’expérience humaine ou sa disparition, on a l’impression que la catastrophe a déjà eu lieu, mais que tout le monde fait comme si rien ne s’était passé ?
M.V. : (Long silence) J’ai écrit une pièce qui s’appelle L’Ordinaire, c’est l’histoire de survivants qui, après un crash aérien, continuent à vivre comme si l’accident n’avait pas eu lieu. (Silence) Que l’on continue comme si rien n’arrivait, cela me semble une évidence.
Y.C. : On se sent attaqué, frappé par une maladie, une désaffection que l’on ne connaissait pas ?
M.V. : (Silence) Que l’on soit attaqué bien entendu, mais la question est : « malgré que l’on soit attaqué, qu’est-ce que l’on fait après l’avoir constaté ? », et là les solutions sont individuelles. Il y a ceux dont l’écriture s’exacerbe, prolifère, et plus elle prolifère, plus elle devient inefficace, cela conduit à une prolifération monstrueuse conduisant à l’inefficacité de l’écriture. D’ailleurs, tout ce que vous venez de dire conduit à cette inefficacité, par la prolifération ou par le silence. Ce silence peut être vécu comme la catastrophe ou vécu plus calmement.
Y.C. : Vous vivez cela sans mélancolie ?
M.V. : Non, il n’y a pas de mélancolie (Silence) l’arrivée des événements en cours, de l’interactivité, de la virtualité, des écrans démultipliés, c’est absolument majeur. Aujourd’hui c’est plus fort que tout. Et je ne vois pas quelle contre-action est possible, à quelque niveau que ce soit. Je sais que pour moi, l’écriture de théâtre, plutôt qu’une autre, cela a toujours eu à voir avec le fait que dans le dialogue, l’autre existe. Il y a des personnages qui se parlent et qui agissent les uns sur les autres. L’altérité demeure première, elle peut se manifester dans des champs très modestes, mais elle est le seul rempart contre ce que l’on vient de dire. L’autre doit garder son opacité, il ne se dissout pas, il n’est pas dans la transparence. Je sais qu’il y a dans l’écriture théâtrale encore une prise pour être dans cette situation où l’autre existe. Et si l’autre existe, il est possible, par bribes… Tout est encore possible, minimalement peut-être, y compris l’amour, y compris la mort comme n’étant pas quelque chose d’insignifiant.
Y.C. : Les mises en scène que vous aimez sont celles qui restent des esquisses à grands traits, proches du texte.
M.V. : Aujourd’hui, il y a une manière de faire du théâtre de plus en plus hostile à ma manière d’écrire. Ça ne marche pas ensemble, ce n’est pas tel ou tel metteur en scène qui se trompe vis-à-vis de mes textes, mais il est devenu quasi impossible de monter mes pièces dans les grands circuits. Dans les derniers temps, ce que j’ai vu d’intéressant en tant que mise en scène de mes pièces était toujours très latéral, ou des mises en scène d’amateurs, sans moyens. La mise en scène est devenue un écran telle qu’elle est faite, j’ai une pièce Portrait d’une femme, je ne fais rien pour qu’elle soit montée, au contraire, je n’ai pas envie qu’elle entre dans le processus de la déperdition d’énergie.
Y.C. : On ne voit plus rien ?
M.V. : Oui, on en arrive à ce que les pièces ne soient plus vues ni entendues. Ceci dit, il peut exister des exceptions.
Y.C. : Peut-être que vient le temps des primitifs, faire comme Pialat qui tourne comme si la télévision n’existait pas, ou Pasolini qui filmait comme Giotto peignait ?
M.V. : Oui, je pense qu’il y a une telle sursaturation culturelle, qu’il peut y avoir une trouée de ce côté-là.
Y.C. : Il y a une phrase de vous que j’aime beaucoup, c’est celle-ci : « Dès qu’il y a prise de pouvoir, il y a pathologie », pourtant vous savez que le théâtre est un lieu sauvage, celui des pires rapports de force.
M.V. : Évidemment, la production théâtrale est un des lieux de condensation de tyrannie les plus importants que je connaisse et de mélancolie aussi, parce que les deux vont ensemble.
Entretien relu par Michel Vinaver, juin 1993.
Écritures Dramatiques (Actes Sud), sous la direction de Michel Vinaver.
Répliques (Actes Sud), avec Hélène Waysbord, texte intégral d’une œuvre classique ou contemporaine.