Yan Ciret, article publié dans la revue art press n°265
L’époque ne serait pas brechtienne. Son centenaire n’aurait démontré qu’un échec de sa pensée à échapper au marxisme réaliste socialiste. Son théâtre tour à tour nihiliste et rimbaldien, sous influence nietzschéenne, puis didactique avant d’être épique, doit être renvoyé au tribunal de l’Histoire. Le cas y est déjà jugé : aveuglement communiste, complice stalinien du régime de la RDA, écrivain organique du parti prolétarien. Une biographie à scandale lui a d’ailleurs réglé son compte : Brecht n’a rien écrit, il s’est contenté de spolier ses maîtresses ; de plus, ce triste individu se comportait avec un cynisme d’autocrate, pire, comme un fasciste en puissance. Son esprit théorique, spéculatif (même sur la Chine), ressort de l’ennui terne et gris dont parle Goethe. Seul le premier Brecht, celui de Baal ou celui de Dans la jungle des villes, reste encore épargné pour raison d’anarchisme panthéiste, de punk-attitude, de cruauté pulsionnelle.