Royaume forain : Pistes ! les transmissions du cercle
Documentaire sonore de Yan Ciret
Réalisation : Gaël Gillon
L’émergence du « nouveau cirque », qui connaît son apogée dans les années 80, va dominer la scène circulaire, imposant ses codes et son esthétique. Le « grand récit » millénaire des arts forains se voit déconstruit, parfois renié pour s’opposer au cirque dit « traditionnel » ou classique. La transformation « progressiste » ne laisse rien des modélisations anciennes, abandon de la structure cognitive des numéros, qui s’apparentait à l’enchaînement complexe et analogique des rêves ou des contes, effacement de l’architecture physique et métaphysique fondamentale : le cercle, remplacement de la « logique de la sensation » pour reprendre Deleuze, du risque et de l’exploit, par des dramaturgies théâtrales ou chorégraphiques.
Exclusion presque totale, hormis le cirque équestre, de la présence animale, primat du texte et de la scène théâtrale sur l’art du corps, la liste serait longue des disciplines qui disparaissent, et des ruptures avec les anciens maîtres de la piste. L’équivalent circassien des « trésors vivants » japonais de Nô ou de Kabuki sont désormais marginalisés sans pouvoir transmettre, la mémoire vivante de la tradition cesse d’innerver l’enseignement.
Cette période semble se clore aujourd’hui, et les « pisteurs » actuels de se retourner vers les legs ancestraux du cirque classique, comme l’apprentissage de l’anthropologie sous-jacente à toutes ces techniques. Au centre de ce retour vers le futur, la question de l’école. En fustigeant les dynasties et les familles de cirque, on a oublié qu’elles étaient des modes de production indépendantes, hors des cadres institutionnels, que la transmission par le chapiteau, l’itinérance, avait des règles, des procédures propres, qui permettaient le passage du témoin. Plusieurs générations témoignent de ce tournant crucial, pour ce dernier volet de la série « Royaume forain », Adrienne Larue la magicienne, férue de mythologies et de cabinets de curiosités, et qui fut l’élève d’Annie Fratellini et de Pierre Etaix, tout en poursuivant son travail du cercle, avec des artistes plasticiens. Les membres des Arts-Sauts, l’une des compagnies phares du « nouveau cirque », avec sa bulle pour trapézistes volants, et son spectacle d’anthologie Kayassine, expliquent la séparation du groupe, après un parcours entre pistes traditionnelles et cirque contemporain et leur retour sur les notions d’itinérance et de famille. Alexandre Romanès, membre de la famille Bouglione qui, après s’en être écarté, renouvelle de l’intérieur le cirque classique tzigane, par une poésie singulière (ses recueils de poèmes sont publiés dans « la blanche », aux éditions Gallimard), mais aussi le jongleur Jorg Müller qui s’inscrit dans la lignée de l’illusionniste Robert Houdin, et des « phénomènes » de foire, en apnée dans des tubes aquatiques.
Une école cristallise cette croisée des chemins, le CNAC (Centre National des Arts du Cirque), et les questionnements sur l’initiation ; à la transmission par l’enseignement des maîtres va-t-on définitivement substituer l’hybridation des genres, le mélange, au risque de la disparition des spécificités des arts de la piste et de leur histoire ? Une chorégraphe comme Fatou Traoré répond par La part du loup, son spectacle de fin de la 19ème promotion du CNAC, le metteur en scène Moïse Touré qui lui succède, avec Georges Lavaudant, pour 2009, s’attache à renouer avec ce récit des origines circassiennes, qui mêlait symboles de l’héraldique chevaleresque, théâtre du Globe shakespearien et culture populaire. L’avenir appartient à ces jeunes élèves du CNAC, Tite, Paula et Tatiana, qui cherchent dans les prémices de leur art, les réponses à ce devenir du cirque. Une voie a déjà été tracée, magistralement par Johann le Guillerm et ses « pratiques minoritaires », ou le jongleur Jérôme Thomas qui déclara, un jour : « Là où il n’y a pas cercle, il n’y a pas cirque ».
Avec Johann le Guillerm (circassien), Adrienne Larue (magicienne et foraine), Alexandre Romanès (poète de cirque gitan), Stéphane Ricordel et Laurence de Magalhaes (les Arts-Sauts), Fatou Traoré (chorégraphe), Moïse Touré (metteur en scène), Jorg Müller (jongleur), et les élèves du CNAC 19ème promotion : Paula (trapèze ballant), Tatiana (funambule), Tite (fil).
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