Royaume forain : Pierre Étaix vertige burlesque

Documentaire sonore de  Yan Ciret
Réalisation : Gaël Gillon

Parmi les maîtres de l’art du geste, Pierre Etaix tient une place unique ; s’il descend en héritier absolu des grands burlesques américains, il puise ses racines profondes dans le cirque classique européen. Une tradition foraine ancestrale au service d’un médium moderne, telle est l’esthétique faite de gags et de chutes vertigineuses, de dissonances et d’harmonie surréaliste, rêveuse et objectale, de Pierre Etaix. Ce dédoublement, en fait un cinéaste, un poète, un clown, un dessinateur, un illusionniste dont le génie abstrait et tendre, reconnu par les plus grands (Jerry Lewis), se voit largement et scandaleusement occulté.

Ses films rendus invisibles, mis sous séquestres, par d’inextricables questions juridiques, sont autant de diamants solitaires dans la galaxie du cinéma français. Comme si la malédiction des burlesques, après l’arrivée du parlant puis la fin du muet, le frappait à son tour, par-delà le temps. Ce portrait, qui avance en miroir, l’amène à parler de lui, à travers les cinéastes qui l’ont fait débuter, comme Jacques Tati, ou qui l’ont choisi pour sa science du corps en mouvement, sa géométrie mathématique des déplacements, comme Robert Bresson, avec qui il partage l’absence de psychologie, la rigueur du traitement autonome du son. Pierre Etaix évoque, à ce sujet, ses désaccords avec Fellini dont il refuse la vision pathétique, dramatique, du clown. La leçon d’exactitude des signes cinématographiques, qu’il nous donne, avec l’humilité qui le caractérise, reprend une notion essentielle, pour lui, celle de fidélité.

Comme le maître verrier, avec qui il s’initie à l’art du vitrail dans sa jeunesse, il construit une œuvre dont il est temps de mesurer les mystères de fabrication. On les reconnaît dans la tradition des artistes de pistes, acrobates, jongleurs, magiciens, écuyers, tout autant que dans le slapstick de Buster Keaton ou d’Harold Lloyd. L’auteur de Yoyo et du Soupirant, travailleur acharné de la précision du cadre, du dessin des formes dans l’espace, est aussi le fondateur d’une école de cirque, avec sa femme Annie Fratellini. Stoïque et sans plaintes, ce roi Lear du chapiteau, voit disparaître ces secrets de filiation que détenaient des monstres sacrés suspendus au-dessus du vide, des clowns virtuoses aux numéros héroïques dans le rire. Dans un bref traité de comédie clownesque, Pierre Etaix résume la spécificité de cette transmission par la piste : « Etre un clown est un état, ce n’est pas une fonction. C’est aussi un mode de vie très particulier lié au cirque itinérant. Si le clown authentique, dans le cirque contemporain, semble faire place, à tort ou à raison, à des « farceurs » occasionnels qui ignorent les rudiments essentiels à la pratique de cet art dans sa pure tradition, c’est vraisemblablement à cause de l’absence de modèles. Les modèles sont des maîtres. »
 

Avec Pierre Etaix, Jean-Claude Carrière.

Les voix de Robert Bresson, Federico Fellini, Jacques Tati, Jerry Lewis, écuyer Bouglione.

Films Pickpocket de Robert Bresson, Docteur Jerry et Mister Love de Jerry Lewis, Jour de fête, Playtime et Trafic de Jacques Tati. La magie du cinématographe (inédit) court-métrage de Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière.

 
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