Royaume Forain : La science des Monstres

Documentaire et création sonore de Yan Ciret
Réalisation : Gaël Gillon

 

Les monstres sont faits de l’étoffe de nos rêves les plus obscurs, objets de culte ou d’effroi, leurs corps déformés hantent le royaume forain, la science les observe avant de les rejeter, ou de les faire disparaître. Ils symbolisent nos peurs, et renvoient à des origines archaïques, enfouies, lorsque l’homme et l’animal ne connaissaient pas encore de frontières. Femme-lion, homme-éléphant, géant plastique et mécanique, homme-machine, ils sont le négatif de la révolution industrielle et du classement des ordres et des hiérarchies scientistes et positivistes, des corps et des espèces. Réfugiés dans la culture populaire, leur existence rappelle les formes « altérées » que le rationalisme exclu de ses catégories et de ses normes.

Dernière parade des monstres, entre art et science, dans le monde forain des baraques du paranormal, dans les débuts du cinéma muet. Comme l’explique l’historienne Patricia Falguière, c’est Barnum et son cirque qui s’empare des restes européens des cabinets de curiosités, et des chambres des merveilles, emportant aux Etats-Unis ce que Barnum va appeler « cultural industrie » ou « show-business ». La naissance de la culture de masse est la suite de ce passage des « images survivantes », d’un continent à un autre.

Les foires, lieux des visages de cire, des illusions en miroir, du magnétisme, sont interdites pour leur population incontrôlable, celle des « classes dangereuses ». Le magicien de cirque Robert Houdin apprend l’hypnose à Charcot, pour un autre théâtre, celui des nouvelles sorcières de la science, les hystériques de la Salpêtrière. Le corps burlesque devient une excroissance du corps forain comme le dit Pierre Etaix, sa projection fantomatique sur un écran. Le cinéma burlesque signe le dernier âge d’or de cette fête foraine de l’espèce humaine. La plasticité infinie du burlesque fait de lui le dernier des monstres, un enfant déclassé, un destructeur d’origine propre à l’établissement des nations.

Les Freaks du film de Tod Browning seront une tribu subversive, héritière des animaux de foire, et pourtant « monstrueusement » si proche de notre humanité. Comme un trait d’union qu’il faut couper, pour défaire le lien avec les fantasmagories, les figures trop voyantes de l’altérité.

Au Festival d’Avignon, La Divine Comédie de Romeo Castellucci sera foraine, elle réanime le cercle de l’éternel retour, celui de la science des monstres. Habitué des corps d’exceptions, des mouvements organiques de la chair, des prothèses, et de la technologie, le metteur en scène relève le défi de ce voyage à travers tous les états de la nature, dans ce cirque du monde où cohabitent les vivants et leurs spectres.

François Tanguy nous donne sa lecture de La Transversale d’Alain Gheerbrant, là où une pirogue sur un fleuve amérindien devient ce mouvement relié aux lois de la gravitation, à l’enchaînement naturel des logiques de la matière animée. En échappant à la raison du calcul, la pirogue comme le clown et chaman Hopi nous transportent vers une cosmogonie d’avant le langage.

Le cirque fait réapparaître, dans sa piste circulaire, tous ces gestes muets, surnaturels, c’est ce que montre Catherine Millet à propos de Johann Le Guillerm qui traverse tous les possibles du laboratoire d’un corps dont il fait un « cobaye », en oedipe funambule, aux multiples métamorphoses. Avec ses installations, telles « Monstrations » ou « La motte », ses créations d’objets qui excèdent la présence humaine, il rejoint les cabinets de curiosités, mais aussi les créations les plus modernes de l’histoire de l’art. Les avant-gardes ont emprunté ses tours, ses maléfices à ce monde en marge. Les avant-gardes ont pris au monde forain ses formes, ses matières, des physiques hors normes. Le cirque d’Adrienne Larue a intégré des grands noms de l’art contemporain, Daniel Buren, Christian Boltanski, Pennone, Robert Filliou, Kounellis ; et l’arte povera où le mineral et le végétal vivent et prolifèrent comme en dehors du regard de la pensée de l’homme.

 

 

Avec : Johann Le Guillerm, Philippe-Alain Michaud, Romeo Castellucci, Pascal Jacob, Monique Sicard, Jan Fabre, Jean-Paul Favand, Alexandre Romanès, Catherine Millet, François Tanguy, Patricia Falguière, Adrienne Larue, Stéphane Ricordel (Les Arts-Sauts), Pascale Risterucci, Pierre Etaix.

Musiques : Scott Gibbons (spectacles Romeo Castellucci), Cantates de Chiara Guidi, et les musiciens des Arts-Sauts et de Johann Le Guillerm.

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