Œuvres, Édouard Levé (P.O.L., 2002)

Yan Ciret, in Art Press, décembre 2002.

Si l’ouverture à l’infini donne à une œuvre sa capacité à faire venir des visions concrètes, à leur maximum de possibles, il faut bien considérer Œuvres d’Edouard Levé comme un étonnant défi. Celui-ci est posé de manière volontairement contradictoire, à la fois potentialité de langage, art d’écrire et de décrire, poésie fictionnelle de l’ADN génétique d’œuvres plastiques virtuelles, mais systématiquement installations d’espaces au centre même de la littérature. C’est donc à un double débordement que l’on doit l’un des livres les plus originaux et stimulants que l’on puisse lire en ce moment.

 

360ciel, Voyage(s) & Objet(s) aléatoires, Photographie d’Édouard Levé


Au commencement, il y a l’alignement numéroté de descriptions de concepts, tel un annuaire imaginaire d’œuvres jamais réalisées. Prenons, au hasard, les notes (versets, psaumes, en quelque sorte) 345. et 346., cela donne ceci pour la première :
« Un homme tire au révolver sur un autre homme. Un liquide vert jaillit du canon. Photographie. » Pour la suivante : « Les silences d’un film sont montés dans leur ordre d’apparition. La pièce porte le titre du film ». On trouve, ainsi, quelque 533 œuvres, mélanges de Borgès, Mallarmé et Marcel Duchamp. Des sortes de rêves « ready made » qui englobent l’ensemble de l’histoire de l’art depuis la fracture de la modernité. L’un des personnages clefs de cette rupture, Baudelaire, revient d’ailleurs, comme un fantôme, hanter cette accumulation mentale.

 

On entre dans une zone de probabilité et de jeu sur le vrai et le faux, un trompe-l’oeil généralisé, qui constitue néanmoins un parfait traité pour qui voudrait inventorier l’histoire des formes contemporaines. Tous les grands courants de dépassement de l’art sont finalement représentés ici, mais en tant que fictions sans cesse en mouvement, réappropriées par leur genèse.

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