« Une fois, comme j’étais tenté (et je le suis encore) de le considérer comme un philosophe, Debord m’a dit : « Je ne suis pas un philosophe, je suis un stratège.» Il a vu son temps comme une guerre incessante où sa vie entière était engagé dans une stratégie. » Giorgio Agamben, Le cinéma de Guy Debord
La phase lettriste, de celui qui a doublé son prénom, – selon la mode de ce groupe -, va s’avérer capitale pour comprendre la suite de l’art de Guy-Ernest Debord. On peut dire que tout est déjà là.
Dès Prolégomènes pour un cinéma futur, sa vision est formée de manière reconnaissable entre toute(1.. Le ton si particulier se fait entendre, il échappe à la théologie esthétique du lettrisme, mais dans le même temps, il lui emprunte sans doute sa meilleure contribution à l’histoire des avant-gardes. Le geste qui va consister à transformer le premier scénario d’Hurlements en faveur de Sade, avec une bande image dès plus splendide, par une suite de monochromes alternant le blanc et le noir, jusqu’au vingt-quatre minutes finales d’obscurité et de silence, représente l’une des coupures essentielles de l’art du XXe siècle. Il y a une double entrée dans ce passage, celle qui radicalise à l’extrême la fin du cinéma, et celle qui reconfigure la trajectoire personnelle de Guy-Ernest Debord. Comme le faisait remarquer Boris Donné : « Qu’est-ce qui est occulté dans la seconde version, que la première, simplement publiée dans Ion, révélait ? »(2.. Le mystère qui entoure cette métamorphose est l’une des « projections » qui synthétisent le plus profond de la connaissance d’une œuvre. Laissons de côté l’aspect financier, qui aurait vu Gil J. Wolman suggérer, faute de moyens, et après son Anticoncept de flashs circulaires sur ballon sonde gonflé à l’hélium, un filmage ad minima. Il en avait été de même pour François Dufrêne, et son film sans pellicule Tambours du jugement premier. On a vu nombre de coïncidences économiques, changer cette catégorie en une esthétique sans concession, encore plus novatrice. Que l’on pense au Que Viva Mexico d’Eisenstein, ou à l’Othello d’Orson Welles, et bien d’autres. L’inachèvement, la fuite en avant dans le risque et le jeu, l’aporie devenue ligne et coup de force, le détournement en forme de césure, font partis des armes de Guy-Ernest Debord.
On peut dire, et c’est la doxa courante, que la pensée pré-situationniste a accéléré le mouvement d’un tel changement d’axe. La seconde version mélangeant le manifeste de Debord Prolégomènes pour un cinéma futur et le script de Hurlements en faveur de Sade, en lui apportant des modifications sémantiques, voir en inversant certaines propositions. Dans ce mixage, on peut en effet entendre en voix off : « Les arts futurs seront des bouleversements de situations, ou rien », et de façon encore plus prémonitoire : »Une science des situations est à faire, qui empruntera des éléments à la psychologie, aux statistiques, à l’urbanisme et à la morale. Ces éléments devront concourir à un but absolument nouveau : une création consciente de situations. ». Sous Guy-Ernest Debord lettriste pointe de manière flagrante le futur fondateur de l’Internationale Situationniste(3.. Mais ceci ne règle en rien la question de savoir en quoi le lettrisme a été séminal de ce qui allait suivre. Et plus précisément, comment un poème cinématographique aussi magnifique qu’Hurlements en faveur de Sade, première manière, a pu naître dans « le contexte complexe du lettrisme » selon la formule de Guy Debord, dans Contre le Cinéma. C’est dans cette complexité justement qu’il faut chercher, la chambre d’échos, l’architecture piranesienne, le secret psychogéographique que l’auteur a sciemment inscrit, crypté à l’intérieur de ces deux œuvres jumelles, symétriques et inverses. On peut dire que l’une est le positif de l’autre, le cinéaste ne laissant à la fin que le négatif de la pellicule à voir, sinon à entendre, comme si la seconde version avait détruit sans l’enregistrer la première mouture. Et pourtant, l’une n’aurait sans doute pas été possible sans l’autre. La naissance de ce rapport des contraires, si riche en attendus et en interprétations, on peut la situer dans le film et les théories d’Isou. Plus particulièrement à propos de ce film majeur, et cité comme tel dans la version définitive d’Hurlements… : Le Traité de bave et d’éternité. Dans le scénario produit par ION, les procédures lettristes se démultiplient jusqu’à leur épuisement. Probablement, était-ce là l’effet recherché. Mais, on y retrouve des poèmes de François Dufrêne, des crirythmes successifs, une mégapneumie de Wolman à partir d’un râle prolongé, les lettries sonores onomatopéïques de Pomerand et d’Isou. Guy-Ernest Debord mobilise l’ensemble des inventions du lettrisme, on dira dans le but de les dépasser. Soit. Il l’annonce de manière insolente dès Prolégomènes à tout cinéma futur : « Enfin, je parviens à la mort du cinéma discrépant par le rapport de deux non-sens (images et paroles parfaitement insignifiantes), rapport qui est un dépassement du cri. », et d’ajouté pour solde de tout compte : « Mais tout ceci appartient à une époque qui finit, et qui ne m’intéresse plus. ». On ne saurait être plus clair, il est étonnant que ses compagnons lettristes ne se soient aperçus de cette divergence, que bien des années plus tard(4..
Il s’agit donc de « broyer » les fondamentaux lettristes, afin d’en tirer une autre sorte de révolte, une autre beauté. Ceux-ci, par la même occasion, absorbant ou effaçant dans ce broyage, une partie de l’œuvre-vie de Guy-Ernest Debord. Est-ce pour cela que, jusqu’à présent, le premier scénario d’Hurlements en faveur de Sade ne figure pas dans les œuvres de Guy Debord, et qu’il n’a pas été repris par Debord lui-même dans ses Œuvres cinématographiques complètes ? Longtemps après la lecture, l’on reste pourtant hanté par l’étrangeté poétique de ce texte, où une virtuosité se met au service d’un film essai, avec cette versification brève, comme abrégée pour plus d’intensité, ce qui sera la marque des détournements ultérieurs(5.. Le titre de Prolégomènes à tout cinéma futur se lit comme un détournement, à plusieurs détentes, celui de Prolégomènes à un troisième Manifeste surréaliste ou non, rédigé par André Breton à New York en 1941, et plus oblique les Prolégomènes à toute métaphysique future de Kant. On tient là, l’une des raisons qui vont amener aux écrans noirs, au « sans image », le philosophe y note que : « Nous n’avons pas accès à la chose « en soi », mais à une représentation, nous imposons nos catégories au réel. ». Ce livre est cité directement dans la première version : « Il trouvait peu à peu une métaphysique du refus », puis disparaît dans la seconde, la « métaphysique du refus » s’étant réalisée dans la destruction de la représentation, il n’y avait donc plus à la signifier. Mais pour parvenir à cette fin de la représentation, qui est une tentative extrême de mettre fin à l’iconographie occidentale depuis des siècles, d’abattre les idoles « en images », le lettrisme se révéla un parfait détonateur. On doit reprendre ce qui avait tant marqué le jeune Debord. Dans l’une de ses rages perpétuelles, contre celui qu’il nomme son « ex-disciple » (ce qui semble normal puisqu’il est le « Messie »), Isidore Isou rapporte : « Sorti de l’anonymat par moi, devenu adepte fanatique de mes apports, au point de me déclarer, un jour, entre 1951 et 1952, (…) qu’il était prêt à sauter par la fenêtre à ma première demande (…) », le chef du lettrisme écrivait déjà, du temps de leur « camaraderie littéraire » (Isou) dans son Esthétique du cinéma, qu’il était le véritable auteur du titre Hurlements en faveur de Sade. Guy-Ernest Debord ne sembla pas démentir(6.. Alors qu’est-ce qui relève de la fable, du règlement de compte, nul ne le sait, mais ce n’est pas là l’important. Cette pratique des « écritures données », des textes écrits par les uns et signés par les autres ou ensemble, est une pratique courante des avant-gardes, elle se poursuivra avec les situationnistes.
Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans le Traité de bave et d’éternité d’Isou, ou dans son Traité d’économie nucléaire, ses Manifestes du soulèvement de la jeunesse, on a de nombreux points de départ de l’œuvre de Guy-Ernest Debord. Il est évident qu’il y a une adhésion de celui-ci aux thèses de son aîné ; d’ailleurs cette appartenance ne sera jamais reniée réellement, comme d’aucuns le prétendent, mais plutôt réitérée de façon critique. Dans leur texte de Potlach N°22 (1955) Pourquoi le Lettrisme ?, Wolman et Debord le réaffirment : « Les provocations insupportables que le groupe lettriste avait lancées, ou préparait (poésie réduite aux lettres, récit métagraphique, cinéma sans image) déchaînaient une inflation mortelle dans les arts. Nous l’avons rejoint alors sans hésitation. ». Il faut donc prendre au sérieux, ce qui jusque-là est resté dans l’ombre. Il a fallu attendre de récentes biographies, ou certains essais, pour que cette strate lettriste soit prise en compte dans le parcours de Guy Debord. Anselm Jappe a été l’un des premiers à le relever(7., mais sans aller plus avant : »Dans le lettrisme d’Isou, on trouve déjà une bonne part de l’esprit qui caractérisera plus tard Debord et les situationnistes, qu’ils lui demeurent fidèles ou qu’ils le dépassent : avant tout la conviction que le monde entier est d’abord à démonter, puis à reconstruire, non plus sous le signe de l’économie, mais sous celui de la créativité généralisée. Tout l’art traditionnel est déclaré mort, et l’alternative est inventé par Isou : le détournement, une sorte de collage qui réutilise des éléments déjà existants pour de nouvelles créations. Selon Isou, dans l’art, se succèdent les phases ampliques, dans lesquelles se développe toute une richesse d’instruments expressifs, et les phases ciselantes dans lesquelles l’art perfectionne, puis détruit peu à peu ces raffinements. », il faudrait ajouter beaucoup de concepts isouïens, tel celui « d’externité », qui met au centre, non seulement la jeunesse, mais ceux qui sont hors-champs de l’économie. Debord reprendra cette idée des « externes », mais en la recoupant avec la lutte des classes, la révolution du prolétariat.
On a souvent vu ce différent de manière politique, uniquement, les « lettristes de droite » étant chassés de leur propre groupe par les « lettristes de gauche », c’est à dire ceux de l’Internationale Lettriste, Jean-Louis Brau, Gil J. Wolman, Guy-Ernest Debord. Presque un hold-up du lettrisme par le futur auteur de La Société du spectacle, partant avec la fraction la plus en pointe, mis à part François Dufrêne avec qui il rompt en 1953 au moment où ce dernier fonde Le Soulèvement de la jeunesse, un groupe aussi à gauche, mais encore trop proche d’Isou selon Debord. Il est à noter que c’est François Dufrêne qui l’a intégré au groupe lettriste, à Cannes lors de la présentation sulfureuse au Festival du Traité de bave et d’éternité d’Isou en 1951. Il est possible d’aller plus loin dans l’analyse de ce rapport intrinsèque au lettrisme, ou tout du moins d’en esquisser les contours. Dans le Traité de bave et d’éternité, Isou prend la parole sous les prophéties de Daniel, le principal protagoniste qui est joué par Isou lui-même déambulant dans les rues de Saint-Germain-des-Près. Il déclare : »J’annonce la destruction du cinéma », « Je ferais foutre la pellicule en l’air avec des rayons de soleil (…), je prendrais des chutes d’anciens films et je les rayerai, les écorcherai, pour que des beautés inconnues paraissent à la lumière », puis surtout « Pour la première fois dans l’histoire du cinéma, on a pu travailler un scénario en soi, indépendant, sans être obligé de le couper par des « éléments visuels » (…) », on a ici des processus qui seront tous repris par Guy Debord. Ainsi le « discrépant » d’Isou qui consiste à séparer la bande son de la bande image, une fulgurante première à l’époque, mais aussi l’usage d’images prises hors contexte et assemblées par montage. Jusqu’à la ciselure, ce qu’Isou pratiquait au ciseau ou au couteau sur la pellicule ou tout autre support, griffant, lacérant le médium, le vitriolant. On peut objecter que Debord fera un tout autre usage de ces créations, qu’il les assimilera peut être de manière plus « performative » encore que leur découvreur. La suite de sa filmographie le démontre aisément, elle aura d’une certaine manière dépassée en les emportant avec elle, des phrases comme celles-ci dans Prolégomènes à tout cinéma futur : « La ciselure de la photo et le lettrisme (éléments donnés) sont ici envisagés comme expression en soi de la révolte », « la ciselure barre certains moments du film qui sont les yeux fermés sur l’excès du désastre. La poésie lettriste hurle pour un univers écrasé », on est en plein à l’intérieur de l’esthétique d’Isou, mais comme « éléments préfabriqués » utilisés et détournés par Debord, avec la même orientation que l’on retrouvera dans Mode d’emploi du détournement, écrit avec Gil J. Wolman, un fois la rupture consommé avec Isou(9.. Au fond, Guy-Ernest Debord est encore véritablement et pleinement « artiste » durant cette période. Mais dans un sens classique d’avant-garde, qu’il réfutera plus tard, d’abord au nom du « désoeuvrement », de « la dérive » de l’Internationale Lettriste, ensuite par le dépassement de l’art dans la réalisation de la poésie dans la vie.
L’effet d’agrandissement, d’un Guy-Ernest Debord créateur de formes durant la période lettriste, se manifeste par le fait qu’entre 1952, le moment d’Hurlements en faveur de Sade, et son film suivant Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, il faudra attendre près de sept ans, ses métagraphies de 1951-1954 en témoignent aussi ; le terme même est repris au lettrisme, certaines images montées-collées renvoient directement au premier scénario de ION. D’ailleurs, la plupart des images, des références, se retrouveront plus tard, disséminées dans les films, y compris dans In Girum Imus Nocte… Que ce soit l’armée des Indes, les cuirassés de batailles perdues, les scènes d ‘émeutes ou les lâchers de parachutistes, rien ne sera perdu de cette période, ni la voix d’Isou, ni sa présence qui apparaissait en large écran dans la version initiale(8.. Michèle Bernstein a conservé des photos d’Isou, notamment une métagraphie de Guy-Ernest Debord où est insérée une photo ciselée du créateur du lettrisme(9.. Une très belle métagraphie Le temps passe, en effet, et nous passons avec lui, reconstituera une partie du montage des images du script de ION, et ce en 1954… La dette est donc largement explicite, il y aura même cette formule dans l’I.S. parlant d’un « trait de son génie » à propos d’Isou, dans un article fortement belliqueux, comme si Debord se méfiait de cette part de lui-même ; il lui arrive de reprendre certains de ses traducteurs sur des termes qu’il voit comme trop « isouien », ainsi le terme « créer », qu’il fait remplacer par « appliquer ». Mais dans la langue première, la création apparaissait. Il faut citer plus longuement ce texte, où il est fait retour sur les apports du lettrisme, »Mais Isou qui se découvre placé, par hasard, ou par un trait de son génie, à un point zéro de la culture », « Témoignant plus que tout autre de la dissolution de la culture contemporaine, l’art qu’Isou a proposé est le premier art du solipsisme. », « Cependant, ce système n’a pas été appliqué tout à fait purement, parce que le propos de constituer dans le siècle un mouvement avant-gardiste a conduit Isou à réaliser, presque accidentellement, plusieurs expériences réelles de la décomposition artistique contemporaine (livres « métagraphiques », cinéma). »(11., on saisit bien la juste ambivalence de Debord, surtout dans un contexte où Isou déchaîne une haine incroyable contre « l’ex-lettriste » et ami.
L’analyse, au fond très romantique, que fait Greil Marcus de la photo ciselée autoportrait lettriste de Debord, nous donne des indications plus approfondies encore. Cette image est la mise en œuvre exacte de ce que préconise Isou dans son Esthétique du cinéma : «La photo ciselée représente un élargissement ou un approfondissement des bases esthétiques de la particule du cinéma. (…) En imposant au négatif, par une ciselure, la personne de l’artiste, on crée un précédent dans le droit d’intervention sur la fidèle copie de la réalité. (…) En détruisant les possibilités du positif, nous attaquons les richesses et les séductions mêmes de la réalité copiée. », pareillement cette photo retourne comme un gant cette volonté de « création généralisé », elle abîme le matériau, pour montrer un personnage indiscernable, autrement que par son geste de destruction, il se crée alors une aura qui retourne autant dans le passé qu’elle avance dans le futur avec cette passion de l’oubli, de l’éphémère, du transitoire, qui sera l’une des passions de Guy Debord. C’est peut-être là que l’on atteint la pierre angulaire du rapport de Debord à son passage par le lettrisme, le philosophe Giorgio Agamben nous ramène au détournement de Kant dans Prolégomènes … : « En philosophie depuis Kant on appelle les conditions de possibilité de quelque chose les transcendantaux. Quels sont les transcendantaux du montage ? Il y a deux conditions transcendantales du montage, la répétition et l’arrêt. Cela Debord ne l’a pas inventé, mais il l’a fait sortir à la lumière, il a exhibé ces transcendantaux en tant que tel. ». Ce qui est décrit ici, c’est le principe du détournement, prendre du fixe dans l’antérieur pour le faire revenir, et inversement prendre du présent et l’arrêter dans le temps. Fuite du temps et éternité constituent ce qu’Agamben nomme : « Une palindromie essentielle du cinéma de Debord . », cette logique circulaire se retrouvait dans le Traité de Bave et d’éternité film structuré par cercles excentriques. Alors que l’espace ce concentre, se condense, dans le cinéma de Debord. Le film scénario Hurlements en faveur de Sade exemplifie cela, le montage, très inspiré de Welles et d’Eisenstein, ne cesse d’être dialectique, matérialiste, donc relié à l’histoire, s’agrégeant à son mouvement. La « Société Paradisiaque » que cherche Isou et dont il est le Messie, avance linéairement dans le temps, vers un Eden anhistorique, l’arrêt et la répétition sont le mal absolu pour Isou, il ne pouvait donc pas y avoir de rencontre durable sur ce plan.
C’est sur le décompte ou non du temps que Debord cesse d’être lettriste, tout en affirmant ses moyens messianiques, mais pas ses fins théologiques ou mystiques. Agamben insiste sur ce point : »Ensemble, la répétition et l’arrêt réalisent la tâche messianique du cinéma (…). Cette tâche a essentiellement à faire avec la création. Mais ce n’est pas une nouvelle création après la première. Il ne faut pas considérer le travail de l’artiste uniquement en termes de création : au contraire, au cœur de tout acte de création, il y a un acte de dé-création. », il faut pour ce fait même compter la période lettriste, comme appartenant entièrement, à ce balancier de l’œuvre et de la vie(12.. Elle prend même en charge, la disparition de l’érotisme sadien qui était inclus dans la première version en script, toutes les allusions à divers vices venus des œuvres du Divin Marquis, plus ceux que Debord lui-même y a rajouter, se sont réalisés dans la forme de l’œuvre, tout comme les cris ont été remplacé par le silence des monochromes, enfouissant encore plus avant le secret, le labyrinthe qui permet de relier Hurlements en faveur de Sade à Mémoires, d’ailleurs Barbara Rosenthal sera l’une des voix off, comme Isou, de ce film ; la Barbara aimée que l’on retrouve dans la première partie du livre à structures portantes d’Asger Jorn et Guy Debord. Encore une fois, tout doit disparaître, c’est à ce prix que l’éclat de lumière percera l’obscurité pour y retourner, visible des seuls initiés, de ceux qui ont voulu, assez longtemps, pour le voir enfin fendre la nuit.
Yan Ciret
(1. Paru dans la revue lettriste de Marc’O, ION, repris Jean-Paul Rocher Editeur. (2. Boris Donné, auteur spécialiste du XVIIéme siècle, auteur d’un remarquable essai Pour Mémoires, éditions Allia, 2003. (3. Il est fait référence dans les tracts lettristes à « où Guy-Ernest Debord « psychotridimentionalise » le musée de Cluny, comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie. « La psychogéographie apparaît-là, rapporté à ce musée de l’art médiéval, enclave près de Saint-Germain-des-Près. (4. Isou , beaucoup plus tard, relisant cette première version, s’apercevra des différences notoires entre ses conceptions et celles de Guy Debord, celui-ci parlait de « La phrase déchirée visuelle-sonore », de « Dialogue parlé-écrit, dont les phrases s’inscrivent sur l’écran, continuent sur la bande sonore, puis se répondent l’un à l’autre. » Tout ce qui sera développé par la suite, avec une science du son dont seul Orson Welles avait fait usage jusqu’à présent, mais que Debord pousse à point de sophistication extrême. A noter, la forte influence du cinéma muet, constructiviste russe en particulier, où le montage rapproché de plans hétérogènes ressemble beaucoup à l’art du montage de Guy Debord. (5. Les Œuvres cinématographiques complètes (Gallimard, 1994) verront la notation d’appartenance aux « Films Lettristes » pour Hurlements en faveur de Sade ; lors de la reprise de citations de ce film dans d’autres réalisations ont y entendra les voix des lettristes. Le Traité de bave et d’éternité y reste comme l’une des grandes œuvres de l’histoire du cinéma. Les inversions des évocations de la période du lettrisme vont toutes dans le sens d’un degré moindre de révolte, un vieillissement prématuré, voir le changement à propos de Gabriel Pomerand. (6. Voir Contre l’Internationale Situationniste, P. 318, éditions HC-D’Art_s, 2001. (7. Dans sa biographie de Guy Debord, éditions Via Valériano, 1993, puis repris éditions Denoël, 2001. (8. Dans La Tribu, Jean-Michel Mension pour l’Internationale Lettriste : »Isou on l’aimait bien, on n’avait rien contre lui, et puis il y avait un certain respect de la part de Guy, de Gil (Wolman) et de Brau… On considérait effectivement que c’était un mec qui avait apporté quelque chose. », éditions Allia, 1998. (9. Lipstick traces, de Greil Marcus, Folio Gallimard, 1998. (10.La scission vint du tract sur Chaplin, la première salve des jeunes lettristes fut lancé de Bruxelles par Debord, Wolman et Brau, la complexité des rapports fut qu’ils étaient en Belgique pour présenté le Traité de Bave d’Isou. Ce n’est qu’en 1954, qu’il est officiellement exclu de l’I.L., c’est à dire de son propre mouvement. Il semble qu’il y ai eu une période de latence entre 52 et 54. Jean-Louis Brau rapportera que la rupture ne fut pas aussi simple qu’il n’y paraît pour Debord. (11.A propos de quelques erreurs d’interprétation, Internationale Situationniste N°4 ; voir aussi le texte d’Asger Jorn dans le même numéro « Originalité et Grandeur (sur le système d’Isou). Repris éditions Arthème Fayard, 1997. (12.On retrouvera toute une rhétorique lettriste, des formules, dans les écrits ultérieurs de Debord, de multiples expressions comme « aux poubelles de l’histoire », et une foultitude d’arts de l’insulte pratiques typiquement lettriste, avec sa syntaxe, son vocabulaire. Il n’y a pas donc que les signes objectifs tels la première photographie portrait de Debord dans le testamentaire Panégyrique II, datée de 1951, ou l’année 1952 considérée comme la plus attentatoire à la société ; même dans la cruauté de la réponse de Gérard Lébovici à Isou, lorsque celui-ci par provocation voulut faire éditer Contre l’Internationale Situationniste par ses éditions, la réponse du mécène et ami de Debord est ambiguë, si un jour Debord parle de son ancien maître, il l’éditera. Il est possible qu’il serait revenu sur cette période dans Apologie, livre somme qui fut brûlé à sa demande lors de sa mort ; bizarerie des signes le créateur du lettrisme à écrit sa propre Apologie d’Isou.