Guy Debord Correspondance – vol. 3 (1965-1968)Editions Fayard

Par Yan Ciret, in art press n°290 – mai 2003

Les années 1965-68 s’inscrivent comme décisives: apogée de la révolte, aboutissement de toutes les avant-gardes – dadaistes, surréalistes, lettristes et bien sûr situationnistes. C’est peu de dire que les lettres regroupées ici ont un gout de poudre et de barricades. La violence y est froide, concentrée sur des objectifs tactiques: la révolution semble à portée de la main. Ni dévotion pieuse, ni fantasmagorie. Debord a bien été le meneur, parmi les plus engagés dans l’histoire de Mai 68: sa reprise ultérieure, et rétrospective, en tant que mémorialiste, a été radicalement véritable Résumons : le dépassement de l’art a eu lieu, la grande poésie a pris vie et style dans et par l’insurrection. Le présent ne laissera pas de trace, il faut agir vite. Le détonateur du dernier soulèvement de Paris se met en place. Imaginez Rimbaud organisant la Commune, ou Villon, Arthur Cravan, le Cardinal de Retz ligués pour une nouvelle Fronde. L’œuvre se réalise dans la subversion: réunions, rassemblements, échanges secrets, coups d’éclats… Les deux interlocuteurs privilégiés sont Mustapha Khayati (où l’on voit en quoi Debord est l’instigateur du Scandale de Strasbourg) et Raoul Vaneigem. La Société du spectacle et le Traité de savoir vivre… sortent presque simultanément. Les liaisons s’établissent avec les mouvements anarchistes; les exclusions se multiplient. Lautreamont et Jarry sont aux com-mandes, la Sorbonne est prise d’assaut, les Conseils pour le maintien des occupations tiennent la corde. Le vieux monde vacille. La suite est connue. La dispersion du groupe, la scission, l’aventure qui continue d’In Girum… à Panégyrique. Il est aujourd’hui à la mode de décrier Debord, dernière tentative pour faire taire celui qui a débuté par des Hurlements en faveur de Sade et dont l’existence n’a jamais démenti de si beaux débuts.
Yan Ciret