Royaume forain: Les utopies nomades – le cirque des communautés à venir

Documentaire sonore de Yan Ciret
Réalisation : Anne Fleury

Sous la puissante lumière du Kafka freaks show, des communautés se forment sous des toiles de chapiteau. Les identités vacillent, se troublent, se changent, « le champion de jeûne » ou « l’athlète de la faim », « Joséphine la cantatrice » et ses souris, les héros mineurs et étranges de l’auteur de « La métamorphose » inspirent le Tonneau forain de Branlo et Nigloo, autant que les réflexions de Gérard Macé sur la métaphysique de la matière et la naissance circassienne de ce Royaume engendré par une femme léopard. Ces corps annonciateurs dessinent un messianisme – celui de communautés à venir. La femme à barbe des tréteaux de Jeanne Mordoj et ses lancés d’aiguilles, sa ventriloquie de crânes fossiles de bélier, de blaireaux, ses reptations de contorsionnistes, nous renvoient notre image dans le miroir d’une inquiétante étrangeté. Mais toujours en tant que féerie, faste du castelet de marionnettes, jeux avec les éléments, où vivants et morts cohabitent dans une même fête.
 

 

Héritiers du carnaval, grotesque et sublime, mêlant ravissement et épouvante, ces spectacles sont aussi des « formes de vie » concrètes. C’est une véritable fabrique d’objets, de métaphores, où les gestes du travail reprennent le chemin de l’artisanat. Œuvre, art et vie ne sont plus divisés, séparés, chacun construit ses lois de la gravitation, tel Pierre Meunier clown fantasque se jouant de la pesanteur, le métal devient flexible, animé par son seul mouvement, les cailloux, les tas et le trou du vide, aspirent et respirent. La magie réapparaît. Un monde oublié, rejeté aux marges, au « ban » des villes vient nous faire signe. Cette culture populaire revient avec ses établis, ses machines, ses chants, sa musique, depuis les marges de notre société, avec ce que Michel Foucault appelle ses « corps utopiques ». Ils habitent des espaces parallèles, aux lisières des institutions, des genres, des lieux repérés, le philosophe du biopouvoir les définissait ainsi : » Il y a en revanche des hétérotopies qui sont liées au temps, non pas sur le mode de l’éternité, mais sur le mode de la fête : des hétérotopies non pas éternitaires mais chroniques. Le théâtre, bien sûr, mais aussi les foires, ces merveilleux emplacements vides au bord des villes, quelquefois au centre des villes, et qui se peuplent une ou deux fois par an de baraques, d’étalages, d’objets hétéroclites, de lutteurs, de femmes-serpents, et de diseuses de bonne aventure. »
 

 

Avec Jeanne Mordoj, Pierre Meunier, Branlo et Nigloo, Gérard Macé, Bruno Tackels. Jérôme Thomas.

Les voix de Bartabas, Eugène Ionesco, Jean Starobinski.

Lecture Juliette Piedevache et François Tanguy (Théâtre du Radeau).

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