Royaume forain : Le cirque – rites, mythes et transes

Documentaire sonore de Yan Ciret
Réalisation : Gaël Gillon

La construction des numéros forains n’a rien de fortuit, la parade circassienne trouve ses multiples références dans des rituels sacrés et des mythes initiatiques. Le spectateur ne voit que la « maya », le voile d’illusion qui enchaîne les disciplines les unes aux autres. Sous le kitsch spectaculaire se cache une infinité de généalogies mythologiques. Depuis l’Empire Ming chinois ou le royaume Han la suite des numéros montre la transmigration des âmes, du monde des morts à celui des vivants, et aussi bien la métempsychose, le passage des défunts dans l’empyrée ou l’enfer. 

Aujourd’hui, encore, une simple tour de chaises enchâssées s’élève du monde terrestre, à celui des esprits. L’historien Pascal Jacob nous décrit l’histoire qui relie les rites, mythes et transes au cirque et ses évolutions. Les premiers forains sont liés aux constructeurs de cathédrales, aux alchimistes, aux savoirs ésotériques. Mais c’est dès l’aube de l’humanité, et l’univers des grottes pariétales, que les mythes du cercle apparaissent. Le bestiaire préhistorique contient déjà tout ce que la piste va produire, le rapport à l’animalité, à la chasse, à l’effroi, les hybrides, hommes mi-bêtes, mi-divinités chamaniques, à la dévoration, au vide du gouffre. Les grands symboles de l’inconscient sont déjà présents et vont perpétuer leurs arcanes jusque sur les pistes contemporaines. Claude-Lévi Strauss ou André Leroi-Gourhan ont montré par l’ethnologie, l’entrelacement des rites funéraires avec un vaste répertoire de manifestations spectaculaires initiatiques, symboliques.
 

Les fondamentaux du cirque (le cercle, le numéro, l’objet, le corps, l’animal) jouent et se structurent autour de ces transes, ces cycles vitaux, mais en les transformant en un art de la mutation, de la communication, au sens de la contamination de l’étranger, ainsi que le filme Ingmar Bergman dans La nuit des forains, ou du sacrifice pour Ophüls dans Lola Montès. Le couteau lancé, le sabre, remplace le chasseur, le magicien et l’hypnose, la transe qui fondait les communautés primitives. Les sociétés secrètes ont permis au cirque, au fil du temps, de conserver au présent ce fonds magique. Avec l’arrivée de la technique, des Lumières, de la mécanisation de l’humain, la piste s’adapte à toutes les innovations de la modernité, au risque de perdre sa source rituelle. Mais de nouveaux mythes apparaissent, le dressage des fauves par « la jungle pacifiée », image du Paradis, de l’Arche de Noé, ou les risques du surhomme nietzschéen. Les penseurs et écrivains du Xxe siècle vont trouver dans cet art forain l’incarnation de figures hétérodoxes (Kafka, Bataille, Beckett, Gombrowicz), l’immaturité, l’avant du langage, le sordide et le sublime, jusqu’au supplice du clown hurleur pour un performeur américain comme Bruce Nauman ou l’angoissante étrangeté du réel avec le cinéaste David Lynch.
 

Avec l’historien Pascal Jacob.


Les voix de Claude Lévi-Strauss, André Leroi-Gourhan, Georges Bataille, Jean Rouch.

Films La nuit des forains d’Ingmar Bergman, Lola Montès de Max Ophüls, Eraserhead, Elephant Man, Inland Empire de David Lynch, Magie Noire de Jean Rouch, Clown Torture de Bruce Nauman, extrait anonyme d’un numéro du clown Grock (1932).

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