Royaume forain : Hors-pistes – les corps des limites

Documentaire sonore de Yan Ciret
Réalisation : Anne Fleury

 

Le cirque a toujours porté les états du corps à leur incandescence, le transformant en machine expérimentale. Le désir de tout voir, de l’encyclopédie de la nature et de la mécanique corporelle est une constante des évolutions et mutations de l’univers circassien. Aujourd’hui, comme jadis dans les entresorts, la « monstration » se rapproche de la performance, au sens où les arts plastiques l’ont pratiquée à travers la modernité et les avant-gardes.

Un spectacle comme « (Voir)3 » de Laurent Chanel reconfigure un dispositif avec ses « cube à exhibition » et « cube à contemplation » ; s’inspirant de la chronophotographie de Marey et Muybridge, par un système de logiciel numérique, le corps se recompose sous un effet de stroboscope : « (Voir)3 » est une attraction foraine expérimentale (…). Plongé dans un état de désorientation, le public entre en empathie avec une identité anonyme, chose décomposée, soumise à la gravitation, qui se transforme en fonction du point de vue. Est-ce un corps vivant, est-ce de la matière, cette création déstabilise la perception de la réalité. » D’autres expériences poussent les corps aux limites, dans « Warm » les acrobates enchaînent leurs « portées » dans une chaleur de plus en plus intense ; Philippe Ménard se pose la question : « Comment continuer à vivre dans une peau qui n’est pas la sienne ? Par quelles épreuves doit-on passer pour s’en libérer ? Habité par des questions identitaires, le jongleur imagine un dispositif extrême qui soumet son corps à une seule et unique compagne, la glace. Toujours mouvante, tantôt complice imprévisible, tantôt adversaire redoutable, elle réveille en lui des états inexplorés qui participent de sa mutation. » Les self-hybridations d’Orlan répondent à ces questions du transgenre, par des remixages du corps.
 

C’est le réel lui-même qui tend vers l’impossible, comme le duo de Mathurin Bolze, voltigeur, acrobate, passé par les chorégraphies de Josef Nadj ou de François Verret, avec Hedi Thabet dont le handicap devient une autre forme de virtuosité et de grâce. Et s’ils : « bâtissent une bête de foire», ils engagent aussi une humanité fraternelle, guerrière, violente et lascive, dans une danse vitale scandée par un appel constant au dépassement de leur propre identité. Secret, mystérieux, comme ce chant qui s’élève et que la légende dit écrit par un condamné à mort, leur « bataille » vient rappeler dans leurs actions que le cirque est fait aussi d’auteurs anonymes et inconnus.
 


Avec Laurent Chanel, Philippe Ménard, David Bobee, Christophe Fiat, Yveline Rapeau, Jérôme Thomas, Orlan, Mathurin Bolze, Hedi Thabet.

Lecture Juliette Piedevache

Remerciements Paris-Villette et la manifestation « Des auteurs, des cirques aux limites »

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