Royaume forain : Bartleby et la chute – les cabarets du fiasco

Documentaire sonore de  Yan Ciret
Réalisation : Anne Fleury

 

Le risque des arts de la piste est aussi celui de « la chute », du fiasco, c’est même l’un des ressorts du burlesque. Le « je ne préfèrerais ne pas » du Bartleby de Melville agit comme un propulseur d’effondrement, de destruction, par l’immobilité, la force d’inertie. Il se joue là le principe de compétence et celui d’incompétence, c’est la rencontre de Beckett et de Buster Keaton qui mène jusqu’à l’extinction, avec The Film, cette catastrophe de l’interruption du mouvement, dans le mutisme, l’aphasie, où le bégaiement que reprend un poète et écrivain, comme Jérôme Game. C’est aussi « The Party » de Black Edwards. Une ligne s’échappe du cirque Européen pour passer dans le Barnum américain. Avec ses chapiteaux, ses caravanes, ses exercices de transformismes, de travestissements. La culture de masse américaine est façonnée par ce Barnum, qui place le remix, le clone, au centre de son cirque : le vrai Buffalo Bill sur la piste, les faux Elvis à Las Vegas. Le freak’s show continue avec des icônes sérielles reproductibles à l’infini.
 

En France, les références traversent les avant-gardes, « l’entrée des médiums » des surréalistes, la télépathie du « Rrose Sélavy » de Marcel Duchamp, travesti en femme, les revolvers et coups de feu de Man Ray, de Cravan sur scène, ou de Jacques Vaché à la première des « Mamelles de Tyresias ». Ceci rejoint l’art des magnétiseurs, et des stands de tir, tandis que Vaché « fait un carton » de fête foraine sur sa propre image. L’artiste moderne, puis contemporain, reprend les attitudes du saltimbanque, plus particulièrement du clown. De Dada à plus récemment Rondinone (le clown endormi) ou la photographe transformiste Cindy Sherman. Arnaud Labelle-Rojoux et Olivier Blanckart remontent une « entrée » clownesque, avec « Lolo et Nono », mais en distordant les voix de ce remixage circassien. La performance est ici mise en crise, de la même manière que Xavier Boussiron reprend les standards de Vince Taylor ou Roy Orbison, mais selon une méthode décalée ; avec Sophie Perez, ils exploitent l’affirmation de Gombrowicz : « Ma littérature est cirque, foire. » Par un mélange de farce, et de cultures minoritaires qu’ils greffent, les catégories explosent, rejoignant le Barnum qui rend indistinct toute frontière, entre culture « savante » et culture « populaire ».
 



Avec Arnaud Labelle-Rojoux, Sophie Cusset (Cie Les Octavio), Katja Hunsinger (Cie Les Possédés), Maxime Mestre (Cie Le Cheptel Aleïkoum), Jérôme Game, Christophe Khim, Sophie Perez, Xavier Boussiron, Jean-Yves Jouannais.

Les voix de Witold Gombrowicz, Philippe Soupault.

Lecture Juliette Piedevache.

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