Guy Debord : Les Fantômes irréguliers de l’avant-garde (Diptyque sonore)

Une émission de Yan Ciret, sur France Culture in “Surpris par la nuit” (novembre 2006).
Réalisation Pierre Willer

Les années lettristes de Guy Debord : la poésie du scandale (1/2)

Sur quelques quartiers de Paris, une avant-garde bouleverse tous les principes de l’art, et détruit avec la violence du scandale tous les éléments de la société existante. Fondé après la guerre par Isidore Isou, vite rejoint par Gabriel Pomerand, le mouvement lettriste attire à la lui la jeunesse la plus révoltée. Une bande, ou plutôt un « gang » se constitue avec des créateurs dont la sauvagerie n’a d’égal que le talent pour le « dépassement de l’art ».

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Rien de moins que la création d’une nouvelle civilisation basée sur « la créativité générale ». Lorsque Guy-Ernest Debord adhère au groupe lettriste, en 1951, lors du scandale du film d’Isou « Le traité de bave et d’éternité », il a déjà la prescience de tous les thèmes qui vont marquer les aventures du fondateur de l’Internationale Situationniste. Ses compagnons François Dufrêne, Gil J Wolman, Jean-Louis Brau, Gabriel Pomerand, Serge Berna, Raymond Hains, Jacques Villeglé, Marc’O, forment une nébuleuse dont la rage a déjà été théorisé par Isidore Isou sous le nom de « Soulèvement de la jeunesse ». Arrivé à Paris, Guy Debord va fréquenter l’envers de Saint-Germain-dés-Près, des rues où se retrouvent la marginalité des voleurs, des mineurs en fugue, un mode de vie nihiliste et flamboyant. Cette période de la « Tribu » marquera, à jamais, les œuvres « d’anti-art » de Guy Debord. En 1952, il fait scission,créant avec Wolman et Brau, l’Internationale lettriste, ce lettrisme hérétique se radicalise vers une révolution esthétique et politique. Deux voyants considérables renforcent ce groupe : Ivan Chtcheglov dit « Gilles Ivain » et Patrick Straram.

Les armes de l’errance : l’art de négation (2/2)

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Après son engagement dans le lettrisme, Guy-Ernest Debord va inventer une série de gestes de destruction de l’art séparé de la vie. La poésie vécue doit entrer dans le réel, devenir le mot d’ordre et le mot de passe d’un nouveau monde. Le travail avec Isidore Isou a permis d’achever l’art, de le porter à sa fin. Son film monochrome « Hurlements en faveur de Sade » en est l’un des paroxysmes et marquera un rapprochement avec Yves Klein. Le messianisme d’Isou, sa théologie de la création, est bientôt remplacé par un messianisme post-marxiste.

Les voies vont alors se séparer du lettrisme historique, c’est le temps des exclusions, des combats contre le surréalisme d’après-guerre, du dépassement et de la reprise du dadaïsme. Ses alliés, ces « figures de la négation » participent à ces années de laboratoire, d’expériences limites, allant jusqu’au bout de tous les excès de la conquête d’un nouveau continent. Des tracts, des inscriptions sur les murs, un bulletin « Potlatch », relaient leur violence ironique, leur critique totale. En même temps, ils se vivent comme une « société secrète », un « commando », qui va mettre au point l’explosif pour renverser toutes les valeurs. Ces processus de « création négative » vont s’appeler : dérive, psychogéographie, détournement, urbanisme unitaire, construction de situation. Alors que François Dufrêne poursuit le « soulèvement de la jeunesse » d’Isou, Guy-Ernest Debord, Ivan Chtcheglov, Patrick Straram, et Gil J Wolman, réinvente l’architecture, le rapport passionnel avec la ville. Leur « Graal néfaste » comme le nommera Debord sera l’exploration rationnelle et systématique de toutes les possibilités de vivre l’inconscient dans le dehors des rues et des passages, dans la suite de Baudelaire et de Lautréamont. Ivan Chtcheglov écrit alors le « Formulaire pour un urbanisme nouveau » véritable déclaration de guerre à tout utilitarisme. Pendant ce temps d’ « âge d’or » les futurs concepts situationnistes se vivent jusqu’aux frontières de la mystique, de l’hallucination, avec l’alcool et le « Consul » de Malcom Lowry comme viatique. La folie rôde alors, bientôt l’Internationale Lettriste se cherchera un chemin vers un marxisme hétérodoxe, la « dictature du prolétariat ». Guy-Ernest Debord fixera pour toujours cette « courte unité de temps » (1951-1953) dans son livre matrice « Mémoires », il n’aura de cesse de retourner aux sources de cette clandestinité, l’une des plus extrêmes du XXe siècle.

Avec la participation de Nicole Brenez, Christian Bourgois, Alain Jouffroy, Sacha Strelkoff, Claude Clavel, Jacques Villeglé, Vincent Kaufmann, Frédéric Acquaviva, Boris Donné, Jean-Marie Apostolidès, Marc’O, Didier Semin.

Et les voix de Michèle Bernstein, Guy Debord, François Dufrêne, Gil J Wolman, Isidore Isou, Patrick Straram, Vali Meyers.