Pier Paolo Pasolini : volet 2 “Le sacrifié de la société”

Documentaire/création sonore de Yan Ciret
Réalisation : Angélique Tibau

 

L’interdiction en 1976 du dernier film de Pasolini, « Salo » d’après Sade, jette une ombre de victime expiatoire sur le crime qui vient d’être commis. Les bobines de ce film avaient été volées par la pègre contre rançon, il s’avère aujourd’hui que c’est en cherchant à négocier leur restitution que le cinéaste est tombé dans un guet-apens à Ostie, que dire alors de la mise immédiate sous séquestre de ce même film, par la justice italienne ? C’est ce parallèle qui fera dire à Bernardo Bertolucci, qu’il s’agit non d’un simple meurtre crapuleux, mais d’un « lynchage de masse ».

 

Sur cette lagune désolée et violente, où l’immondice et le délit règnent, on a retrouvé un corps démembré, comme celui de Dionysos, d’Osiris, ou celui du Christ. Il reste une question fondamentale : quelle civilisation se fonde sur ce sacrifice humain venu des tréfonds de la société italienne et de la nouvelle Europe ? Pourquoi et de quoi Pasolini est-il devenu le bouc émissaire ? Lui qui avait si souvent filmé ou décrit le sacrifice rituel : archaïque et mythique dans les commencements de « Médée », christique pour « L’Evangile selon Saint-Mathieu », mystique avec l’apparition divine et satanique de l’hôte de « Théorème », anthropophage avec la figure barbare de Pierre Clémenti dans « Porcherie ».

Le poète n’hésite pas à dire ici que « la célébrité est l’autre visage de la persécution », comme avant lui Antonin Artaud « le suicidé de la société », le martyre de Pasolini s’il n’est pas uniquement le fait d’un complot politique, n’en ressort pas moins d’un crime organisé depuis longtemps par une société qui ne supportait plus ses attaques de plus en plus violentes. L’amoureux des « Borgate », ces banlieues misérables, et de ses habitants ces « ragazzi», les jeunes voyous acculturés du sous-prolétariat, ne pouvait que s’en prendre à toutes les institutions bourgeoises, y compris celles de gauches. La révolte totale qui l’avait fait participer à un film sur les attentats des « années de plomb », avec le groupe d’extrême-gauche « Lotta Continua », ne l’empêche pas de critiquer Mai 68, de prendre la défense des policiers fils de prolétaires contre les jeunes bourgeois, comble du blasphème anti-moderne, il s’élève contre l’avortement.

Partout, il est le « paria », « l’hérétique », « le luthérien » au cœur de Rome, celui qui voit monter un nouveau fascisme sous le masque hédoniste de la société de consommation : ce qu’il appellera « un génocide culturel » des identités. Son dernier scénario « Porno Teo Kolossal » frappe par son aspect visionnaire, violemment actuel sur cette nouvelle société qui est désormais celle où nous vivons. Son ami et scénariste Sergio Citti raconte ce film documentaire qu’il a tourné et qui donne les clefs de l’assassinat de Pasolini, il meurt peu après, sans que ces nouvelles preuves ne soient prises en compte. Laurent Terzieff parle d’ « Ostia », ce long-métrage de Citti, dont le scénario de Pasolini faisait mourir le personnage principal, sous les coups d’une mort scélérate, celle des hommes infâmes dont parle Michel Foucault, à quelques mètres de l’endroit où son propre corps sera laissé sans vie et défiguré.

 

 

Avec Anne Wiazemski, Toni Negri, Jean Duflot, Hervé Joubert-Laurencin, Bertrand Levergeois, René de Ceccatty, René Scherer, Jean-Paul Manganaro.

Avec les voix de Pier Paolo Pasolini, Laurent Terzieff, Alberto Moravia, Sergio Citti, Leonardo Sciascia, Bernardo Bertolucci, Walter Siti, Sergueï Paradjanov, Pierre Clémenti, Franco Citti, Ninetto Davoli, Pino Pelosi.

Lectures et doublages par Nicole Dogué, Damien Manivel, Jean-René Lemoine.

« Porno Teo Kolossal » scénario posthume de P.P. Pasolini – lecture Jeanne Moreau.
Traduction Hervé Joubert-Laurencin.

Remerciements Liza Narboni et le Festival Premiers Plans d’Angers.

Soundtracks « Ostia (The death of Pasolini) » par Coil, « You Have Killed me » par Morrissey, « Les mauvais garçons sur le champ » par Pasolini/Anna Prucnal, « Histoire(s) du cinéma » par Jean-Luc Godard, « Sayat Nova » par Sergueï Paradjanov, « La Société du Spectacle » par Guy Debord, Conakry, Le Caire, Nairobi, Istanbul, New Delhi, Rome, et l’aria final de Manon Lescaut par Maria Callas.

Traductions Hélène Frappat, Giovanna Gasparini.

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