L’autodafé de Guy Debord (II)

Une esthétique du dépassement de l’art et pensée chinoise

(Texte remanié et augmenté de la conférence donnée au colloque « Guy Debord » au Parlement des philosophes et Musée d’art moderne de Strasbourg, en février 2007)

L’apologétique du nihilisme de Guy Debord ne défend pas le néant, elle s’oppose à lui par les mêmes moyens et use de ses méthodes. Son discours, issu de la rhétorique militaire, se déploie avec une variété de stratégies, qui fait d’un repli, une attaque, et d’une offensive, sa négation. Cet infini de principes contient sa contradiction, il la serre en lui-même, faisant de l’ombre du négatif sa proie fugitive, afin que se dégage une guerre de mouvement.

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La destruction, le feu de la guerre originaire d’Héraclite, que Guy Debord reprendra à son compte, en sont le principe de mouvement perpétuel, ainsi que l’eau qui dissout les flammes de l’action dans le brasier du temps. Ils sont à la fois l’axe agissant et l’orbe létal autour desquels tourne un néant qui affirme sa présence. « Tout le film (aussi à l’aide des images, mais déjà dans le texte du ” commentaire “) est bâti sur le thème de l’eau. On y cite donc les poètes de l’écoulement de tout (Li Po, Omar Khayyam, Héraclite, Bossuet, Shelley ?), qui tous ont parlé de l’eau : c’est le temps. Il y a secondairement, le thème du feu ; de l’éclat de l’instant : c’est la révolution, Saint-Germain-des-Prés, la jeunesse, l’amour, la négation dans sa nuit, le Diable et les « entreprises inachevées » où vont mourir les hommes, éblouis en tant que « voyageurs qui passent » ; et le désir dans cette nuit du monde (“nocte consumimur igni “). Mais l’eau du temps demeure qui emporte le feu, et l’éteint (1).» Dans ce précipité, c’est tout l’art poétique de Debord qui se formule négativement. On aura reconnu l’arc de cercle de l’éternel retour qui, violemment, retire et projette, simultanément, son devenir dans le flux tumultueux des passions.

C’est commencer à définir, en la spatialisant, le sens hérétique de la pensée de Guy Debord. Elle se condense, à la manière d’une théologie négative, par ce qu’elle n’est pas, puis se cristallise dans son refus, avant de dépasser la non coïncidence des contraires, surmontant son abolition, par une ouverture calculée pour être un brusque coup de dès, une puissance imprévisible. Cette logique, du négatif à l’œuvre, jalonne chaque césure dans l’art de Guy Debord, sa détermination progresse d’une annulation qui sépare le réuni, à une critique unifiée de cette séparation. À la manière d’une spirale, dont chaque boucle retournée, amplifie le geste de scission avec ce qui précède, ce retrait revient sur lui-même annonçant un temps qui se situe précisément après la fin, de telle façon que ce qui n’aurait été qu’un acte fini puisse se métamorphoser en une genèse. La violence régressive se transforme en fondamentaux agressifs, la perte augmente l’espérance, fait pencher la balance favorable des victoires, tel dans L’art de la guerre de Sun Tze. Ce renversement de la division, on le trouve à l’ouverture de L’Internationale Situationniste – La Véritable scission, où l’exergue en propédeutique guerrière, venue de Hegel, désigne l’ennemi dans le sein même de ce qui combat (2) : « Un parti se prouve comme le vrai parti vainqueur seulement parce qu’il se scinde à son tour en deux partis. En effet, il montre par là qu’il possède en lui-même le principe qu’il combattait auparavant et a supprimé l’unilatéralité avec laquelle il entrait d’abord en scène. » Ce qui s’exécute, fait avancer ce qui recule, et reculer ce qui s’avance en pleine lumière, ainsi les célèbres dernières lignes, de la Thèse 57 : « Et maintenant que nous pouvons nous flatter d’avoir acquis parmi cette canaille la plus révoltante célébrité, nous allons devenir encore plus inaccessibles, encore plus clandestins. Plus nos thèses seront fameuses, plus nous serons nous-mêmes obscurs. »

Ces ténèbres éclairantes ne ressortent pas, uniquement, de la dialectique, de l’Aufhebung, elles s’inscrivent aussi dans une stratégie messianique du désœuvrement. Au dépassement de l’art, et à la réalisation de la philosophie, Guy Debord ne retranche rien de leur effectuation, dans la « totalité » hégélienne. Il détruit en l’anéantissant (aufbewahren) l’esthétique, pour la conserver (aufhören lassen) par une transmutation des valeurs qui s’accomplit dans le procès historique. Mais « l’anti-art » que Debord revendique, à plusieurs endroits, n’est pas un simple dépassement indexé sur un quelconque Progrès, la mue qui surmonte in fine la résolution des contradictions, par la trinité dialectique, même marxiste, ne représente qu’une face d’angle, de son avancement. L’annulation nihiliste l’emporte dès que la logique négative se fait l’œuvre du désœuvrement. L’affirmation du refus devient alors refus de l’affirmation, et c’est dans cette perspective qu’il a pu dire que : « Guy Debord a très peu fait d’art, mais il l’a fait extrême. » C’est ainsi qu’il a usé de cette force anomique du retrait : « Je m’en suis toujours tenu à donner l’impression vague que j’avais de grandes qualités intellectuelles, et mêmes artistiques, dont j’avais préféré priver mon époque, qui ne paraissait pas en mériter l’emploi. » Ce privatif catégorique ira jusqu’à son suicide, dont il va faire une œuvre, une « construction de situation » étincelante parmi toutes, sous le double signe de l’Apologie et de l’autodafé (3). Il ordonne (au sens d’ordonnancement) la destruction par le feu de ce qui devait être son « Grand Œuvre » apologétique, la nuit de sa mort, puis la dispersion de ses cendres, dans les eaux de la Seine, à la pointe de l’île de la Cité. À l’endroit même dans Paris, de ce « passage du nord-ouest », visée ultime des explorations urbaines de Debord et de ses compagnons de dérives.

Le philosophe italien Giorgio Agamben a montré comment Hegel avait construit le concept de l’Aufhebung, à partir de la traduction des Epîtres de Paul par Luther (4), en s’appuyant sur le terme paulinien de katargein qui signifie le désœuvrement. On pourrait définir cette stase an-historique, qui s’enroule dans la courbe négative du dépassement, comme le fait Kojève, un autre hégélien, sous les expressions de « voyou désœuvré » ou de « sabbat de l’homme ». Les traces de cette abrasion par l’attente, de la vie abrégée par trop d’intensité, qui font de l’abréviation à la fois un retour et une percée, une immobilité et un fracas de réactions en chaîne, nous pouvons en trouver dans chaque œuvre de Guy Debord. Les pages de Panégyrique consacrées au désœuvrement abondent (5). Elles reprennent, sous des angles différents, cet identique point de vue, de celui qui se flattait d’être « docteur en rien ». C’est-à-dire savant du nihil : « J’allai d’abord vers le milieu, très attirant, où un extrême nihilisme ne voulait plus rien savoir, ni surtout continuer, de ce qui avait été antérieurement admis comme l’emploi de la vie et des arts. », ou encore, de manière millénariste : « Dans le quartier de la perdition où vint ma jeunesse, comme pour achever de s’instruire, on eût dit que s’étaient donné rendez-vous les signes précurseurs d’un proche effondrement de tout l’édifice de la civilisation. On y trouvait en permanence des gens qui ne pouvaient être définis que négativement, pour la bonne raison qu’ils n’avaient aucun métier, ne s’occupaient à aucune étude, et ne pratiquaient aucun art. » Ce milieu marginal, fait de délinquants aux vices multiples envers la société établie, ce monde des « classes dangereuses » qu’il fréquente, Debord le qualifiera comme étant saisi dans l’oxymore d’une « immobilité fuyante », et se livrant à « une prodigieuse inactivité ». Dans son court-métrage, Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, revenant sur l’époque lettriste (1951-1957) (6), il caractérisera leur programme d’achever le « dépérissement de l’art », par cette traduction filmée : « Un film d’art sur cette génération ne sera qu’un film sur l’absence de ses œuvres. »

Avec ces dernières citations, on resserre le point de gravité, le katargein de Paul, désœuvre dans le même temps qu’il fait de l’anomie une prophétie. Lorsque Guy Debord rédige Attestations en 1993 (7), préambule à la publication de ses Mémoires de 1957, il relève ce prédicat, qu’il n’y a d’œuvre qu’à venir, ainsi : « Dans le monde de la décomposition nous pouvons faire l’essai mais non l’emploi de nos forces », et parlant de ses œuvres de jeunesses : « Il faut admettre qu’un goût de la négation généralisée les aura unifiées. » La négativité parvient à irradier depuis sa propre absence de réalisation, de diffusion, de connaissance, c’est ainsi que dans le même texte, il peut noter, à propos de cet « anti-livre » comme il nomme Mémoires, que : « Leur célébrité est venue de n’avoir été répandus que sur le mode du potlatch : c’est-à-dire du cadeau somptuaire, qui met l’autre au défi de donner en retour quelque chose de plus extrême. » On perçoit, à présent, l’explosif interne de l’art de Guy Debord, après l’anéantissement, l’invisibilité, la communication s’opère d’un retournement complet de l’impact par le potlatch, c’est-à-dire dans les catégories de Marcel Mauss, selon le système du « don et du contre-don ». Ce qui explique que Panégyrique Tome second fasse mention, dans l’Aperçu chronologique qui décline les dates saillantes de la vie et l’œuvre de Debord (8), qu’en 1994 : « Le 30 novembre, Guy Debord réalise un dernier Potlatch, sa mort eut ceci d’admirable qu’elle ne peut passer pour accidentelle, en se suicidant. » Canal +, la chaîne cryptée, programme une soirée « Guy Debord, son art et son temps », peu de temps après ce suicide, avec la présentation de son dernier film ; il est précisé dans cette chronologie, en ce qui concerne ce passage dans le « spectacle » télévisuel : « Fidèle à sa parole, Guy Debord, lui, n’y était pas. » Les pièces de cet art du négatif se rassemblent, dans une note de Panégyrique Tome second, on peut aussi lire ceci : « Le tome troisième ainsi que les suivants restés à l’état de manuscrit furent brûlés dans la nuit du 30 novembre 1994, selon la volonté de Guy Debord. »

Si le suicide, la mort volontaire, se donne ouvertement tel un potlatch, c’est qu’un retour encore plus grand est demandé par défi ; il s’agit bien là d’une œuvre d’art totale voulue comme telle. Les situationnistes ont toujours identifié l’art au potlatch, à travers des « situations construites », une « psychogéographie » de ce qu’ils appelaient « la vie historique ». Un théâtre passionnel, shakespearien, où Machiavel aurait tendu ses cartes stratégiques du pouvoir et le Cardinal de Retz mené la Fronde, et Debord de leur décerner ce viatique : « Ils voulaient tout réinventer chaque jour ; se rendre maîtres et possesseurs de leur propre vie. » Il n’y a donc là aucun hasard, mais une préméditation logique, à ce que l’Apologie devenue cendres, par la grâce d’un autodafé, soit l’aboutissement, non plus d’un passage de l’œuvre dans la vie, mais bien l’inverse symétrique, le dépassement de la vie suicidée en toute conscience, dans une œuvre ainsi parachevée par son capolavoro. On sait, par certains de ses proches, que Debord travaillait avec acharnement, à sa propre apologétique, lorsque la maladie en a interrompu la rédaction (9), alors que des centaines de pages se voyaient déjà rédigées. Au mois d’octobre 1994, peu avant l’acte final, Debord confiera à Ricardo Paseyro, lors d’un séjour de ce dernier dans sa maison de Champot que : « Nous avons fait le tri, brûlé une masse de papiers inutiles et gardé ici à la disposition de mes lecteurs tout ce qui importe ». Quelques semaines avant sa mort, Apologie ne fait pas partie des textes détruits par l’auteur de La Société du Spectacle. Le bûcher ultime, de ce qui devait être, selon les rares lecteurs d’Apologie : « La Divine Comédie de notre temps », va être ordonné précisément, pour coïncider avec ce potlatch en forme de suicide, d’une balle dans le cœur, la nuit même.

Maîtrise stoïcienne, jusqu’au bout, d’un destin, mais pas seulement, c’est encore un dernier éclat de cette esthétique du dépassement de l’art que Debord avait inscrit dans l’une de ses Directives épigraphiques. Il en va des stratégies d’écriture, qui s’orientent selon le sens historique, et dont le « style insurrectionnel » doit dialectiquement se déplacer. L’auteur avertissait de la méthode de son discours, au commencement de ses Commentaires sur la société du spectacle : « Le malheur des temps m’obligera donc à écrire, encore une fois, d’une façon nouvelle. Certains éléments seront volontairement omis ; et le plan devra rester assez peu clair (10). », on a beaucoup glosé sur cette usage de la « science dispersée » qui fut l’apanage de l’alchimie. Mais ce plan de symbolisation, ésotérique, qu’il partageât avec nombre de ses compagnons, existait depuis la prime jeunesse de Debord. Cette carte du négatif eut comme figures : le Diable, « cet esprit qui toujours nie », l’hérésie Cathares, le Bateleur, la lame primordiale des Tarots et qui orne la couverture du livre Des Contrats, et bien d’autres attachées à la quête de ce « Graal néfaste » (11) révélé dans son film testamentaire In girum imus nocte et consumimur igni. Si l’on reprend la formule d’Asger Jorn, il est toujours question ici de « Guy Debord et le problème du maudit », c’est-à-dire d’une esthétique du déceptif, qui se refuse à plaire, ou à être comprise, encore moins jugée, même élogieusement. Une « apothéose décevante » comme il l’affirme pour les vingt-quatre minutes de silence, sur fond noir, de son premier film Hurlements en faveur de Sade. Au moment, où l’on assassine son ami et mécène Gérard Lebovici, et devant la calomnie médiatique qui s’ensuit, il retire tous ses films des écrans, pour les rendre invisibles, et le contre-don somptuaire à cette mort en est signalé ainsi, par lui : « 1984. Potlatch de destruction de tout ce cinéma. » L’œuvre se signe, une fois de plus, par sa « décréation », sa via negativa « ce qui est n’est pas, ce qui n’est pas est », sa dernière Apologie incendiée ne déroge pas à ce mode ablatif, elle le pousse justement à ses conséquences les plus extrêmes.

On aurait pu découvrir plus tôt le sens de ce palimpseste, si l’on avait compris qu’à partir de 1978, Debord opère un mouvement en spirale, qui dialectise, sa période lettriste flamboyante, des premières opérations d’exploration de la poésie vécue, avec celle de l’Internationale situationniste ; et qu’il revient vers ses Mémoires de 1957, après l’échéance de l’inaboutissement de la Révolution de Mai 68. Le « je » autobiographique se substitue à l’impersonnalité radicale, mais transformé par ce passage par le collectif. Beaucoup ont pensé à un revirement par rapport à la théorie révolutionnaire et une abdication quant à la praxis de la critique sociale. Alors que c’est la question du « sujet » qui, tout au contraire, devient l’enjeu de la nouvelle guerre contre la domination. La mémoire et une métaphysique du temps se conjuguent à présent avec la lutte contre le Spectacle intégré qu’il décèle dès 1988 (12). La créativité généralisée s’est réalisée, à travers la culture de masse, Guy Debord s’engage alors dans un « matérialisme négatif », au sens où Bataille a pu parler d’un « bas matérialisme » pour la dépense improductive, il prend acte de la prophétie d’Arthur Cravan, sur le fait, qu’il y a de plus en plus « d’artistes », et que l’on aura beaucoup de mal à trouver encore un homme. Le projectile se fait par l’action de ce futur antérieur, qui potentialise les forces du passé, comme des armes de moins en moins récupérables par la tyrannie d’un présent qui se veut « absolument moderne ». La langue classique de Panégyrique n’est pas la langue du Spectacle, ni de la servitude, c’est pourquoi, à ce propos, il insistera sur les difficultés de traduction de ce livre : « Il faut d’abord prendre conscience que, derrière le français classique (…) se dissimule un emploi spécialement moderne de ce ” langage classique ” ; nouveauté qui est donc insolite et choquante. »

C’est aussi, l’époque où Debord reprend certaines catégories de l’esthétique, aux éditions Champ Libre, il fait paraître ses Œuvres cinématographiques complètes (1952-1978). La notion d’œuvre, jadis honnie, fait dialectiquement retour, mais tel Janus, l’un des versants mémorialistes sera testamentaire (mais toutes les œuvres de Debord sont testamentaires), l’autre se tournant vers l’abréaction temporelle, l’autodafé, la destruction et le potlatch. Il faut donc bien comprendre, qu’Apologie n’est pas un projet inaccompli, mais la synthèse d’une œuvre qui unit ces deux pôles, le bûcher et le testament. Là aussi, une lecture attentive de Des contrats aurait permis de singulariser le nouvel extrémisme dévolu au désœuvrement. On sait que l’argument décisif de la morale, d’une telle publication de contrats engageant le financement cinématographique, réside dans son déséquilibre, le producteur n’ayant aucun droit, sauf celui (le don) de n’en avoir voulu aucun, il y est dit : « Rien n’est égal dans de tels contrats ; et c’est justement cette forme spéciale qui les rend si honorables. Ils ont choisi en tout leur préférence. Tous sont faits pour inspirer confiance d’un seul côté : celui qui pouvait seul avoir mérité l’admiration. » La casuistique d’un Gracian n’aurait pas légiféré autrement, et Debord commentant ce potlatch l’unissant à son mécène Gérard Lebovici, se redonne une figure « d’artiste » qu’il avait pourtant déclarée morte, depuis 1954, c’est-à-dire précisément depuis la fondation de la revue du même nom. Il argue que : « L’artiste n’avait, en aucun cas, à expliquer comment il choisirait de s’y prendre pour venir à bout d’une sorte d’exploit apparemment insoluble » et que : « Devoir annoncer le titre d’un ouvrage à venir, est le genre de contrainte contractuelle qui par la suite sera avantageusement supprimée », puis que : « Un troisième film a été choisi d’avance pour ne même pas être finalement tourné. » Derrière le « parodique sérieux » qu’il avait établi avec Wolman, dès Le mode d’emploi du détournement, l’œuvre s’énonce à la façon d’une hypothèse, qui pourrait ne pas être (13). Dans une lettre à Jaime Semprun, datée de Champot, en juin 1986, Debord donne la clef de cette dernière période de son esthétique du dépassement de l’art, il y parle de ce troisième film hypothétique qui devait porter comme titre De l’Espagne : « On écoute Coltrane presque tous les matins. Mais le charme de cette musique ne me fait pas regretter d’avoir tout de suite proclamé le ferme projet de ne jamais réaliser De l’Espagne. Ce titre stendhalien constituera mon véritable chef d’œuvre ; accomplissant enfin pleinement ma tendance la plus profonde, et qui fut moins visiblement présente dans toutes mes ébauches artistiques (tendance plutôt négative, je dois le dire). Et comme le sujet s’accorde bien à la forme nécessaire de mon art ! Comme on dit à peu près dans Le poète assassiné, quand l’oiseau du Bénin fait en creux la statue du poète avant de la combler de terre : j’aurais fait à l’Espagne une statue en vide, une profonde statue en rien. Quel plus bel hommage ? (14)»
Jamais, art de la soustraction n’avait été aussi parfaitement cerné que dans cette définition, où il s’agit de soustraire et de se soustraire à tout impératif, par un nihilisme du désœuvrement. On est loin de « l’artiste sans œuvre », dont le Bartleby de Melville ou Marcel Duchamp représentent les emblèmes modernes, mais dans une construction classique qui se montre à travers son anéantissement. C’est la posture avant-gardiste qui est révoquée, celle-là même qui à l’origine réduisait en l’effaçant la possibilité de l’image, dès la première œuvre filmique Hurlements en faveur de Sade, en 1952. Le parallèle avec Apologie est rigoureusement identique dans les moyens, ainsi à la succession de plans blanc et noir de ce film monochrome, parce que « les conditions spécifiques du cinéma permettaient d’interrompre l’anecdote par des masses de silence vide », correspond en miroir la destruction du manuscrit apologétique. Au commencement et à la fin, c’est le même potlatch, – là d’images pour les débuts abrasifs et scandaleux, tandis qu’au final, c’est l’autodafé du Livre qui aurait contenu tous les autres. Mais les fins, dans les deux sens du terme, se sont renversées, l’époque où il fallait « achever l’art », pour le mettre au service du projet révolutionnaire, n’est plus ; c’est par l’œuvre soustraite, d’un geste privatif, que l’on peut manifester l’irréductible, l’inacceptable. La couverture de papier de verre de Mémoires, qui déchirait n’importe quel livre rangé à ses côtés, a fait place à un acte plus radical encore, impossible à classer dans aucune histoire de l’art constituée. Imaginons que L’Apologie de Socrate ait été écrite par Socrate lui-même, lors de son suicide à la ciguë, et non par Platon, puis détruite pour punir les citoyens d’Athènes.
C’est le détournement qui rend obvie toute assignation, qui fait que Mémoires, Panégyrique, Apologie, sont des titres génériques. Leur emprunt à la culture classique tisse une généalogie programmatique qui échappe à la sphère avant-gardiste. La relation à l’origine, à la tradition, ne disparaît pas, elle se change en puissance critique. Le détournement le plus emblématique reste le palindrome, cette forme qui se lit identiquement de gauche à droite et de droite à gauche, revenant sur elle-même de façon circulaire, ainsi avec In Girum imus nocte et consumimur igni, « nous tournons dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu ». Cette formule latine n’est pas exactement située, elle est attribuée à Virgile, elle se trouverait dans l’Enéide, au chapitre III, vers 57. Le détournement a un lien avec l’apocryphe, l’origine perdue, et ce vers latin n’apparaît que dans les versions médiévales de l’Enéide. Il signifierait la déploration par Virgile de l’échec de la fondation d’une nouvelle Rome, mise en parallèle par Debord avec l’échec de Mai 68 dans In Girum imus nocte et consumimur igni. Pour augmenter la perte de la source originale, en la reformulant, Debord garde le mystère, invoque « l’oubli », tout en laissant des traces de ses emprunts, ainsi à Jaap Kloosterman, qui lui demande, en mai 1981, d’où vient le titre palindrome de son film, il répond en creusant l’écart apocryphe, tout en livrant des pistes d’interprétations historiques : « J’ai perdu l’origine du palindrome-titre (In Girum imus nocte et consumimur igni), si jamais je l’ai sue. Epoque baroque ? Je m’étais toutefois laissé dire que beaucoup de palindromes ont été produits au Moyen-âge, dans les monastères : la légende assure que beaucoup d’auteurs sont devenus fous avant de pouvoir conclure leur ouvrage. Mais celui-là avait réussi (15). » L’avant-garde ne serait donc pas rupture, mais au contraire religere d’une généalogie, présence vivante d’une archéologie de situations. Ce « dernier potlatch » qu’est Apologie expose sa propre perte originelle, mais son seul titre suffit à élever un mémorial à : « Ma contribution à l’art extrême du siècle, comme un monument historique bien particulier (…). », comme il l’écrira dans Panégyrique Tome second.
Dans son étude du katargein, Giorgio Agamben montre bien la nature double du désoeuvrement. Il écrit, notamment, : « Katargeo est un composé de argeo, qui dérive à son tour de l’adjectif argos, qui signifie ” inopérant, non-en-œuvre (a-ergos), inactif “. Le composé donne donc ” je rends inopérant, je désactive, je suspends l’efficacité”. » Mais, il ajoute qu’il ne s’agit pas uniquement du « nihilisme pur » que Debord reprochera à Wolman, au moment de l’Internationale Lettriste, mais que : « La connaissance la plus élémentaire du grec suffit pour savoir que le correspondant positif de katargeo n’est pas poieo mais energeo, « je mets en œuvre, j’active (16) ». On remarque que l’action d’annuler une œuvre, de la sacrifier par le feu, telle une ordalie, n’atteint son but (autodafé) qu’à mesure que cette œuvre parvient à son paroxysme (apologie). Si la forme discursive du Panégyrique, nous rapproche du sermon et de l’éloge, des grandes périodes oratoires, et de Bossuet dont le Panégyrique de Bernard de Clairvaux sera détourné par Guy Debord, tout au long de sa vie, l’apologétique a son ombre portée tant avec les Apologies de Bossuet qu’avec Pascal. L’œuvre majeure de l’auteur des Provinciales devait être une Apologie du christianisme, que nous connaissons sous la forme fragmentaire des Pensées. La mort empêchera, là aussi, que s’accomplisse cet opus magnum. Au lieu de cela, on retrouvera le célèbre « Mémorial », phrases lacérées, fulgurantes de fièvre mystique, cousues au revers de son vêtement. Debord à de nombreuses reprises utilisa un renversement, du jansénisme pascalien, en l’attachant à sa cause. Lorsque le Bauhaus Imagiste de Jorn publie la cartographie Discours sur les passions de l’amour en 1957, Debord détourne le titre d’un texte de 1653 attribué à Pascal. L’analogie est délibérée, explicite, au même moment, Jorn dit de Debord : « Il s’est donc pressé d’écrire ses Mémoires avant de commencer à paraître dans le monde (17). » On doit comprendre, d’entrer dans une vie de subversion plus large, ou le collectif révolutionnaire de l’I.S. tient une place prépondérante. L’ouvrage de Pascal se situe à l’orée de la charnière qui voit la conversion à Port-Royal, la fin de la vie mondaine, et l’anéantissement du moi, dans la divinité. N’est-ce pas le jeune Debord qui a écrit que : « L’amour n’est valable que dans les périodes pré-révolutionnaires .» ? L’Apologie se distingue du Panégyrique, elle s’appose à une contradiction interne, unissant le privatif grec apo qui veut dire scission, éloignement, séparation, avec sa négation log ou logos le discours, la parole. De manière littérale, étymologique, c’est le lieu le plus haut, le plus éloigné de la terre, celui d’un astre après sa révolution. Ce n’est qu’en 1327, que le mot latin apologia s’emploiera au rang de défense discursive, de plaidoirie, de rhétorique belliqueuse, avec pour finalité la réfutation totale de l’adversaire.

Cette œuvre inédite, hors normes, sidérante par bien des aspects, ne se présente pas uniquement sur le mode de la Lettre Volée de Poe. Des parties, certains éléments, les contours ont été inclus, à travers des annonces, dans des œuvres précédentes. On peut en évaluer la portée, Apologie comme toutes les œuvres cycliques et testamentaires, transporte des fragments venus du fond de l’histoire de Guy Debord. À chaque tour de roue ou palindrome, le « retour en avant » se charge d’images anciennes, d’amitiés perdues, de bataille ensevelies dans la mémoire. Les naufragés et les sauvés réapparaissent, en tant que « revenants », c’est-à-dire de fantômes qui hantent les films et les livres. Souvent placées à la fin, dans une téléologie rétrospective, ces figures qui reviennent sont celles d’Asger Jorn, de Patrick Straram, d’Ivan Chtcheglov, de Gil J Wolman, d’Eliane Papaïe et des tous les « voyous » et « voyelles » qui ont pu dire : « Nous nous sommes engagés définitivement dans le parti du Diable, c’est-à-dire de ce mal historique qui mène à leur destruction les conditions existantes ; dans le ” mauvais côté ” qui fait l’histoire en ruinant toute satisfaction établie. » Ce jugement dernier, Apologie est là pour le parfaire, tant il est sacrilège de détruire un chef d’œuvre, de montrer au monde son indignité, en lui refusant l’accès à ce qui aurait été la somme philosophique et existentielle de l’avant-garde historique. Thucydide disait que l’histoire ne pouvait être racontée que par ceux qui la font, imaginons qu’il eût détruit sa Guerre du Péloponnèse. Dans Panégyrique, Debord parle de ce qui doit succéder à ce premier volume et qui devait compter plusieurs tomes : « Je dirai plus loin comment se sont déroulées certaines phases d’une autre guerre mal connue : entre la tendance générale de la domination sociale dans cette époque et ce qui malgré tout a pu venir la perturber, comme on sait. » Nul doute qu’il ne fasse-là allusion à l’Internationale Situationniste, qui n’est qu’à la marge dans le traitement de ce livre, au profit des aventures dissolues de la période lettriste, dans les bas-fonds, du Paris des « enfants perdus », avec des aperçus sur les errances du voyageur dans « l’Europe habitée » de l’Italie à l’Espagne ; Comme si l’I.S. avait été mise entre parenthèse, pour une suite qui se serait fondue dans la totalisation d’Apologie. Au terme de son Avis, en préface de Panégyrique tome second, il indique que : « Dans le tome troisième, plusieurs détails encore obscurs seront expliqués. » Celui-ci ne verra pas le jour, mais ces indices permettent d’avoir une vue d’ensemble de cette vaste récapitulation, qui semble tenir des Mémoires du Cardinal de Retz, ou de Saint-Simon, des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, pour la construction en pans et morceaux désynchronisés, le caractère posthume, mais aussi, du Temps retrouvé proustien, auteur qu’il fait figurer dans sa Bibliothèque géographique. À la différence que, là où Proust montre la désagrégation des figures par le temps, Debord les fixe dans une sorte d’incandescence et d’éternité (18).

Un autre passage de Panégyrique peint en retrait de l’intérieur du texte, à la manière d’une Vanité ou d’un crâne en anamorphose dans une toile baroque, dévoile la destination d’Apologie. Debord y fait mention d’un chapitre « Danger des apologies » extrait d’un Traité du Droit de la presse, dont il détourne une citation, qu’il approuve, a contrario de ses auteurs, qui se placent sur le plan du droit pénal (19). On y découvre l’ambition « morale » de la fresque anéantie : « Faire l’apologie d’un acte délictueux, le présenter comme glorieux, méritoire ou licite peut avoir un pouvoir de persuasion considérable. Les individus de faible volonté qui lisent de telles apologies se sentiront non seulement absous d’avance s’ils commettent ces actes mais verront encore dans leur commission l’occasion de devenir des personnages. La connaissance de la psychologie criminelle montre le danger des apologies. » Probablement lu, lors de la mise en procès de la presse, après l’assassinat de Gérard Lebovici, ou dans l’après Mai 68, le livre paraît en 1969, cette description à charge, que Debord « retourne » éclaire ce qu’Agamben nomme la : « Palindromie essentielle du cinéma de Debord (20). » ; chaque œuvre ouvre les possibilités antérieures, par inclusions successives. On peut ainsi lire l’ensemble de cet «anti-art » depuis sa fin, autant qu’à partir de ses commencements, ainsi Apologie devient un début où se reflète la lecture des œuvres passées. Mais inversement, le palindrome donne accès aux œuvres futures déjà contenues, dans ce passé antérieur. C’est ce que le philosophe italien voit comme le « messianisme » et « l’acte de dé-création » de Debord, l’attente du désœuvrement et la promesse messianique sont jointes dans la circularité des temps.

On s’approche d’une énigme, l’articulation de la dialectique, avec ce qu’elle contient d’an-historique, si l’on devait figurer cela dans un diagramme, on tracerait un triangle, dont la base, le plan d’immanence, serait le logos platonicien au sens du jugement, du tribunal, les côtés marqueraient les prétendants ou les contradictions, le sommet du triangle la résolution du débat, ou de la guerre. Ce plan politique a un dédoublement, il peut se tenir à la dialectique marxiste, ou devenir allégorie en retrouvant l’origine théologique de cette trinité, dont nous avons parlé, à propos de Hegel. C’est sous ce jour, que beaucoup envisagent Debord « théoricien » du Spectacle et de l’abolition de l’Etat de classes. Souvent, sans voir la révolution, au sens géométrique, qui encercle ce triangle, et qui est le monde des passions, des métamorphoses, de la juxtaposition des contraires, le logos héraclitéen, ou le mythos des chants de l’Iliade d’Homère. C’est le plan de montage de cette double perspective indissociable qui est le sceau de l’art de Guy Debord. L’auteur de Pour un jugement révolutionnaire en art est aussi celui qui détourne des fragments d’Héraclite : « Nous entrons et n’entrons pas, nous sommes et ne sommes pas dans les mêmes fleuves. », ou : « L’origine et l’achèvement sont réunis dans la circonférence du cercle. », et encore : « Ils ne comprennent pas comment ce qui s’oppose s’accorde dans une identité. L’harmonie est changement de côté (acte de tourner, va et vient), comme pour l’arc et la lyre. » L’œuvre a son plus haut degré fait coïncider la pointe trinitaire du triangle du jugement avec le moment de bascule où le cercle revient sur lui-même ou le temps à son acmé se renverse. Cette fulgurance des identités s’appelle Révolution, ou harmonie, Debord l’a connue en Mai 68 ou dans sa métaphysique de l’ivresse : « (…) J’ai aimé ce qui est au-delà de la violente ivresse, quand on franchi ce stade : une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps (21). »

C’est dans la pensée chinoise, à l’influence prépondérante, que Debord s’accordera pour mettre en équivalence l’être et le non-être. Il est fait peu cas des penseurs, de la Chine ancienne, qui pourtant surviennent, pour lui, à partir d’un certain moment, dès que le négatif se met en œuvre (22). Le wu de Laozi incline la négation vers cette fluidité, ce fond indifférencié, impersonnel et infini. Le lettré Wang Bi, au troisième siècle de notre ère, le formule ainsi : « Si l’on souhaite rendre complet le ” il y a “, il faut faire retour à cet ” il n’y a pas”. » L’expérience de ce « passage du nord-ouest », rendant non exclusive l’une de l’autre, la vie et la mort, Debord la connaît pour l’avoir cherchée, par la dérive, la psychogéographie (23), mais ce « mandat du ciel » qu’il évoque, est dans la pensée chinoise gui-chen, c’est-à-dire « essor et repli » ensemble, l’un dans l’autre. Wang Bi donne, ce qui serait une exergue d’Apologie, en faisant tenir le processus vital dans le néant, et inversement : « On voudrait dire qu’il n’est pas là (wu), et pourtant il accomplit toute chose. On voudrait dire qu’il est là (you), et pourtant on n’en voit pas la forme. » Les détournements de la poésie chinoise sont fréquents pour Debord, il faut y ajouter une transvaluation qui fait de phrases comme : « Nous cherchons notre passage » l’équivalent du hua chinois, idée de passage, mais aussi de transformation, et : « Notre passion dominante était l’oubli », le fleuve Léthé de la mort des Grecs, qui s’identifie à l’oubli des vies antérieures, rappelle aussi les préceptes de Laozi : « Ce deux-un s’appelle mystère. Mystère au-delà du mystère. » et dans le revirement de l’oubli en mémoire : « Je contemple leur retour. Car toute chose après avoir fleuri retourne à sa racine. ». C’est aussi la mutation prémonitoire que Debord posera sur les plans de Paris, où ses cendres seront dispersées, dans son film In girum imus nocte et consumimur igni : « Ici fut la demeure antique du roi de Ou. L’herbe fleurit en paix sur ses ruines. – Là, ce profond palais des Tsin, somptueux jadis et redouté. – Tout cela est à jamais fini, tout s’écoule à la fois, les événements et les hommes, – comme ces flots incessants du Yang-tseu-kiang, qui vont se perdre dans la mer. » Cette dissolution dans les éléments, réalisée avec l’autodafé d’Apologie, est vide, mélancolie, naufrage, mis en paraboles par Debord dans ce film : « Ce qu’un poète de l’époque T’ang a écrit en se séparant d’un voyageur, pourrais-je l’appliquer à cette heure de mon histoire ? » Pour conclure, selon l’Ecclésiaste : « La sagesse ne viendra jamais. »

Ce même endroit symbolise l’au-delà matérialiste, la finitude, mais aussi l’origine, les mêmes images, des mêmes lieux étant ainsi commentées : « L’enfance ? Mais c’est ici ; nous n’en sommes jamais sortis. » Dans Le Livre des mutations, œuvre divinatoire de la pensée chinoise ésotérique, du quatrième siècle avant notre ère, le vivant est conçu selon le « diagramme antérieur au ciel (Xiantian tu) » et le « diagramme postérieur au ciel » (Houtian tu) » (24). Les deux cercles dessinent l’alternance et la conversion par superposition de traits continus et des traits brisés. Le potlatch d’Apologie n’est pas seulement malédiction, nihilisme, mais aussi en même temps : « La mutation qui s’épuise ne peut que se convertir en son alternative (bian) ; se convertissant, elle ne peut qu’aboutir partout (tong) ; aboutissant partout, elle ne peut que perdurer. » Le sceau de signature, en caractères de calligraphie chinoise, que Debord imprime à la fin de Panégyrique Tome second, s’applique à la traduction future de ses livres. Mais cette mutation particulière de l’œuvre, ainsi signée, en dissimule une autre plus vaste. Elle nous dirige vers une autre origine « à reprendre depuis le début », comme l’indique le dernier sous-titre d’In girum imus nocte et consumimur igni ; les commencements d’une éternité, désormais ouverte sur l’infini des lectures possibles, de ce grimoire du Diable, qui nous regarde au-delà de la fin des temps.

Yan Ciret

1 Sur In girum imus nocte et consumimur igni (22 décembre 1977). Guy Debord, autour des films (documents). Édition DVD Gaumont des Œuvres cinématographiques complètes, 2005.
2 Internationale Situationniste – La véritable scission, Guy Debord et Gianfranco Sanguinetti, Librairie Arthème Fayard, 1998. Il faut rattacher cette scission de celle de 1961, avec l’aile « artistique de l’I.S. », Debord en 1989, en dit : « Les ” Thèses de Hambourg ” constituent assurément le plus mystérieux de tous les documents qui émanent de l’I.S. (…) » et toujours sous cette même forme de retirement négatif : « Il a été convenu alors que le plus simple résumé de ces conclusions, riches et complexes, pouvait se ramener à une seule phrase : ” L’I.S. doit, maintenant, réaliser la philosophie. ” Cette phrase même ne fut pas écrite. Ainsi, la conclusion a été si bien cachée qu’elle est restée jusqu’à présent secrète. » Internationale Situationniste, éditions Fayard, 1997.
3 Guy Debord – La révolution au service de la poésie, Vincent Kaufmann, Fayard, 2001. Voir p. 369 : « (…) Apologie, (…), dont il semble bien qu’elle aurait consisté en une extension à l’infini des principes à l’œuvre dans Panégyrique, tome premier. L’Apologie de Debord, ç’aurait été Panégyrique élevé à la hauteur d’un Livre, et du même coup Panégyrique apparaît comme une version mineure du Livre, comme un fragment d’exécuté indiquant sa place. »
4 Le temps qui reste – Giorgio Agamben, Bibliothèque Rivages, 2000.
5 Panégyrique, Tome premier, Guy Debord, éditions Gérard Lebovici, 1989.
6 Repris dans Œuvres cinématographiques complètes (1952-1978), Guy Debord, Gallimard, 1994.
7 Mémoires, Guy Debord, structures portantes Asger Jorn, 1957, repris aux éditions Allia, 2004.
8 Panégyrique, Tome second, Guy Debord, Librairie Arthème Fayard, 1997.
9 Dans un document confié à Brigitte Cornand une dizaine de jour après le suicide de Guy Debord et montré sur l’écran à la fin de la projection sur Canal + de Guy Debord, son art et son temps, celui-ci mentionnait sa : « Maladie appelée polynévrite alcoolique (…) », et il ajoutait : « Comme dans toute maladie incurable, on gagne beaucoup à ne pas chercher, ni accepter de se soigner. » Repris dans Guy Debord, autour des films (documents). Édition DVD Gaumont des Œuvres cinématographiques complètes, 2005. Il ne faut pas oublier le goût de Debord pour la criminologie, dans cette complexe « construction de situation » qu’est Apologie, effectuée à dix ans d’écart de l’assassinat de Gérard Lebovici, il y a l’idée d’être « l’assassin de soi-même », lui qui remarquait que nombre de ses amis étaient morts par balles. Dans l’aspect délictuel, il est aussi interdit de répandre des cendres funéraires sur la voie publique.
10 Commentaires sur la société du spectacle, Guy Debord, éditions Gallimard, 1992.
11 Des Contrats, Guy Debord, éditions Le Temps qu’il fait, 1995. La lame des Tarots du « Bateleur » qu’il fera figurer sur la couverture de Des Contrats, est l’une de ses identifications à un univers ésotérique. La configuration du Tarot est circulaire, la lame choisit par Debord est la première, celle de l’unité qui attend sa transmutation alchimique, du renouveau vers la jeunesse, du nouvel initié, celle de la promesse des commencements. Il écrira à ce propos : « C’est une lame du tarot de Marseille. La plus mystérieuse et la plus belle à mon sens : le bateleur. Il me semble que cette carte ajouterait, et sans devoir l’y impliquer trop positivement, quelque chose que l’on pourrait voir comme une certaine maîtrise de la manipulation; et en rappelant opportunément toute l’étendue de son mystère. »
12 Ibid note10
13Le Mode d’emploi du détournement, Guy Debord et Gil J Wolman, Les Lèvres nues, n°8 1956. Repris dans le Quarto, Guy Debord, Gallimard, 2005 et Défense de mourir, Gil J Wolman, éditions Allia, 2001. Une étude parallèle pourrait montrer la ressemblance symétrique des œuvres de Debord et Wolman, après la rupture de 1957. Depuis Hurlements en faveur de Sade où Debord écrit à Wolman : « A ce propos je sais tout ce que je te dois. » La transformation en film monochrome du premier scénario, avec images, publié dans Ion, à la manière de l’Anticoncept de Wolman. Mais, les gestes de « dé-création » de Wolman resteront très proches de l’art de Debord, comme son envers. Apologie peut se rattacher à « l’hypothétisme » de Wolman, l’œuvre existe et n’existe pas, ou encore plus évident l’autodafé par le feu de ses œuvres, en 1991, dans « Appel à témoins », avec cette phrase : « La création n’a pas besoin d’être pour exister peinture dépeinte l’original brûle pas la peinture l’original pas l’origine. », on ne peut trouver meilleur définition d’Apologie.
14 Correspondance 1979-1987, Volume 6, Guy Debord, Arthème Fayard, 2006.
15 Ibid note14
16 Ibid note4
17 Guy Debord et le problème du maudit, Asger Jorn, dans Guy Debord contre le cinéma, Institut Scandinave de Vandalisme comparé, Bibliothèque d’Alexandrie, 1964. Repris dans Guy Debord, autour des films (documents). Édition DVD Gaumont des Œuvres cinématographiques complètes, 2005.
18 Guy Debord, Vincent Kaufmann, Alice Debord, ADPF, 2003. Sur les auteurs mentionnés par Debord, la plupart des classiques, il serait intéressant de placer ce choix dans la perspective de Les anti-modernes – de Joseph de Maistre à Roland Barthes, Antoine Compagnon, Gallimard, 2005.
19 Traité du droit de la presse, Blin, Chavanne, Drago, 1969. Cité p. 73 dans Panégyrique, Tome premier, Guy Debord, éditions Gérard Lebovici, 1989.
20 Image et mémoire, Giorgio Agamben, Arts & Esthétique, éditions Hoëbeke, 1998.
21 Panégyrique, Tome premier, Guy Debord, éditions Gérard Lebovici, 1989.
22 Histoire de la pensée chinoise, Anne Cheng, essais, éditions du Seuil, 1997.
23 La psychogéographie nécessitait une connaissance approfondie, historique, géographique, sociologique, des lieux expérimentés dans la dérive. Notamment l’étude des cartographies anciennes ou récentes. La pointe du Vert-Galant où sont dispersées les cendres de Debord se situe à l’endroit où les Templiers ont été brûlés pour hérésies. De même, elle dépasse la place Dauphine, lieu surréaliste par excellence où Nadja et André Breton entendent un ivrogne en appeler aux morts. Choses que Debord ne pouvait ignorer, ses livres y faisant plusieurs fois référence.
24 Ibid note22

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